Anne-José Lemonnier est morte à Saint-Nic à l’âge de 66 ans. Ancienne bibliothécaire à Châteaulin, elle avait publié de nombreux livres de poésie ou de prose poétique, notamment aux éditions Rougerie, Apogée et Diabase. Dans ses trois derniers livres, elle évoquait sa passion pour le lieu où elle vivait à l’entrée de la presqu’île de Crozon sur les « Hauts de Pentrez ». Femme discrète et aussi secrète, elle avait été unanimement reconnue pour la qualité de ses écrits.
Quelque 105 tableaux comme les 105 années vécues par la grand’mère de l’auteure. Anne-José Lemonnier avait signé en 2018 un ouvrage étonnant qui tenait à la fois du récit, du poème en prose et de la biographie. Elle racontait dans Polyphonie des saisons la vie quotidienne de son aïeule Angélique dans son jardin (son « missel du quotidien ») au bord d’une falaise, face à une baie qui s’offrait, à travers les saisons, à son regard émerveillé. « Dans ce récit, qui n’est pas une histoire, racontait Anne-José Lemonnier, avec un fil, des fils mis bout à bout, mais plutôt un rapiéçage, un ravaudage d’une vie qui a beaucoup servi, usé jusqu’à la trame, j’ai essayé de me souvenir par la fidélité infaillible de la mer et des fleurs ».
Ce souvenir passait, d’abord et avant tout, par l’évocation des saisons dont Anne-José Lemonnier se plaisait à souligner l’enchaînement « en douceur ». Mais avec un mois-clé : mars, parce qu’il « contient tous les temps, orchestre toutes les saisons ». Avec, aussi, l’appel à la langue bretonne pour décrire « la réalité de novembre et de décembre ». Ces bien connus Miz du et miz kerzu, littéralement « mois noir » et « mois très noir ».
Cette polyphonie des saisons – qui donnait son titre au livre – relevait de la contemplation et d’un émerveillement sans failles. Il y avait, dans ce récit, une forme de liturgie, d’extase mystique, « une religion de la nature accentuée avec l’âge » comme elle le disait à propos de sa grand’mère.
« Au clavier des vagues »
Dans un livre paru en 2020, Au clavier des vagues, toujours chez Diabase, Anne-José Lemonnier proposait une variation en bleu, toujours inspirée par la mer en baie de Douarnenez. A la manière des peintres, elle rehaussait le tableau en jouant sur le bleu. Car de même qu’il y a le bleu de Delft ou le bleu de l’artiste Geneviève Asse (dont elle parlait à la fin de son livre), il pourrait y avoir, au niveau de son écriture, la révélation d’un bleu particulier : le « bleu réfléchi des anses », le bleu serein » de la baie, « le bleu translucide ». Et même, sous sa plume, « les chats ont les yeux bleus/pour voir au diapason du ciel et de la mer ». Bleu encore, celui des jacinthes du jardin.
C’est ce bleu qui liait la poète à une nature dont elle s’abreuvait quotidiennement. Nature familière, nature complice, nature consanguine. La voilà, en effet, le printemps venu, qui s’en allait « demander/à chaque lieu aimé/comment il a vécu l’hiver/aux hordes sauvages de vent ». Et pour mieux souligner l’amplitude de ces lieux qu’elle arpentait fidèlement, elle avait ces mots : « Entre le quotidien et l’infini/il y a du bleu et rien d’autre/myosotis et atlantique ».
« Le cap en octaves »
Dans son, dernier livre publié en 2023, Anne-José Lemonnier évoquait dans un roman/poème l’expérience d’un musicien installé au Cap de la chèvre à l’extrémité de la presqu’île de Crozon. Récit polychronique, Le cap en octaves, où l’on reconnaissait la patte de la poète finistérienne.
Sous sa plume, l’on voyait un compositeur se mettre au diapason de la musique qui émanait de ce monde qui l’environnait. Et quel monde ! « Le cap dépasse en création les plus grands musiciens », soulignait Anne-José Lemonnier qui ne lésinait pas sur les mots (jouant parfois les grandes orgues) pour dire la magnificence d’un « cap dans la sagesse de son grès et la folie de son écume ».
Le compositeur parviendra-t-il, comme il le souhaitait, à composer « une musique plus austère, plus dépouillée que les suites de Bach ? » Anne-José Lemonnier arrivait à nous convaincre que ce sera le cas dans ce récit très particulier, véritable hymne à cette presqu’île où elle résidait elle-même et où elle n’en finissait pas d’y décliner toutes les nuances de bleu.
Pierre TANGUY
BRETAGNE ACTUELLE
10/09/2024