Elle a confectionné des chasubles spectaculaires, dignes d’un poème biblique. Et y a trouvé un chemin de guérison.
Quelle sainte femme ! Durant une vingtaine d’années, dans un secret d’une modeste maison tourangelle, Caroline Cloix a confectionné des vêtements liturgiques pour les religieux des Fraternités monastiques de Jérusalem. Mais pas n’importe quels habits : d’amples chasubles cousues main qui renouvellent complètement le genre, en s’éloignant des brocards traditionnels. Habiller (mieux) le prêtre, pour souligner l’incomparable beauté du sacerdoce. Habiller Jésus avec Marie. S’approcher de Jésus, toucher son vêtement et guérir… Dans un livre inclassable, au vibrato bien particulier, l’amie du peintre Arcabas publie aujourd’hui le récit de cette aventure artistique à plusieurs facettes, lui ayant permis de reconstituer le puzzle d’une histoire personnelle en mille morceaux.
Pour en savoir un peu plus sur la styliste et la couturière, ainsi que sur l’histoire méconnue du vêtement liturgique dont elle a acquis une connaissance pointue, nous la rencontrons à l’aube de la grande fête de la Nativité. Sur le quai désert d’une station de tramway de la banlieue de Tours, elle nous attend, emmitouflée dans un duffle-coat rouge lui conférant une grâce de farfadet. Le temps de faire les présentations, et nous voici déjà dans son salon-salle à manger dominant le lac de la Bergeonnerie, non loin d’un pont enjambant le Cher. Nulle trace de son effervescence de couturière dans le petit pavillon de poupée soigneusement rangé où Caroline et son époux – tout juste à la retraite – coulent des jours heureux mais pas forcément à l’abri des épreuves. Un cancer du sein avec maintes complications médicales s’est récemment ajouté à des années de souffrances psychiques, en répercussion d’une enfance violentée. Une jeunesse en fait passée à tabac, comprendra-t-on plus tard.
Pour l’heure, muette sur ce dernier sujet évoqué pudiquement dans son livre à l’effet miraculeusement thérapeutique, elle botte en touche. On veut voir des chasubles ? « Je n’ai rien à montrer pour la simple raison que je ne stocke rien, car je ne vends rien : je donne ! », plaisante-t-elle de sa voix fluette. « Je n’ai pas d’atelier, je travaillais dans la cuisine, sur mon lit… » Participant discrètement à la conversation depuis l’autre bout de la pièce, son mari confirme d’un œil attendri. On ne verra donc rien de ses merveilleuses créations exposées dans son livre, faisant « la synthèse entre la chasuble romaine, le kimono japonais et le boubou africain ». Qu’on juge plutôt ses spectaculaires chasubles par photos interposées : couleur de Lumière sculptée de pigments d’or (Noël), couleur d’aurore aux tons rose azuré (dimanche de Gaudete), couleur d’eau baptismale, d’un blanc nacré exceptionnel (fêtes mariales), couleur d’Espérance, pourpre violine (Avent et Carême), couleur vert émeraude (Temps ordinaire), etc.
Si les Sœurs de l’abbaye de la Merci-Dieu, spécialistes de paramentique, regrettaient déjà que trop de prêtres n’aient pas conscience de la valeur symbolique du vêtement eucharistique, que dire d’aujourd’hui ? « Dans les réunions d’art sacré, le vêtement religieux est le parent pauvre. » On ne révélera pas ici les secrets de fabrication de cette couturière quatre étoiles, aussi discrète que travailleuse. « Faites attention à vous, un artiste cela donne tout et on lui prend tout », l’avait mise en garde son professeur de dessin. Pour elle, c’est l’inverse qui est vrai : « Ce qui n’est pas donné n’existe pas. » Une histoire de conte de fées ? Peut-être bien… Mais dans lequel on ne croisera ni Peau d’âne ni prince charmant. C’est le prêtre qui est roi.
Diane Gautret
Famille Chrétienne – n° 2240-2241 / 19 décembre 2020