Le chant de la mer et les variations du ciel

Concilier la contemplation de la nature et la composition d’une œuvre musicale : Anne-José Lemonnier évoque dans un roman/poème l’expérience d’un musicien installé au Cap de la chèvre à l’extrémité de la presqu’île de Crozon. Récit polyphonique où l’on reconnaît la patte de la poète finistérienne.

 

« Ici commence la musique du monde », écrivait Xavier Grall dans l’un de ses poèmes à propos de la pointe bretonne. Comment ne pas y penser en lisant ce nouveau livre de Anne-José Lemonnier où l’on voit un compositeur se mettre au diapason de la musique émanant de ce monde qui l’environne. Et quel monde ! « Le cap dépasse en création les plus grands musiciens », souligne Anne-José Lemonnier qui ne lésine pas sur les mots (jouant parfois les grandes orgues) pour dire la magnificence d’un « cap dans la sagesse de son grès et la folie de son écume ».

 

Le compositeur de musique s’appelle Mathurin Ebrel. Sa chienne est la bien-nommée Toccata. « C’est là qu’il habite, sauvage et modelé de la pâte même du cap ». L’homme « hiberne avec les Variations Goldberg et les suites pour violoncelle » et « ses deux femmes pourraient s’appeler la mer et la musique ». Pour Mathurin Ebrel « l’atelier des falaises (est) son atelier de création » et, dans cette crique où vient déferler la grande bleue, « les rouleaux blanchis lui servent de métronome ».

 

Le chant de la mer et les variations du ciel

 

On suit le musicien dans ces déambulations sur ce cap où il puise, insatiablement, son inspiration. « Voici Rouantelez… le prénom d’un hameau sur le cap. Rouantelez… Rouantelez… quatre notes par lesquelles tout pourrait commencer ». Et le voilà essayant de « prononcer le nom de Rouantelez avec son violoncelle », avant de confier à chaque hameau rencontré son instrument. « Rouantelez garde le violoncelle et Rimadell le violon, il confie à Gwenavel le piano et à Rusinec la flûte » (car l’œuvre dont il rêve est un quatuor).

 

Une œuvre musicale s’élabore ainsi à la fois dans la sonorité particulière des noms de lieux et dans le chant de la mer au fil des saisons. Sans oublier, comme l’applique à le faire Mathurin Ebrel, cette attention particulière aux variations du ciel. « Dans l’aigu du bleu, le soir émerge d’une journée nuageuse, hésitante entre le majeur et le mineur, la note pure et son altération ».

 

Mathurin Ebrel parviendra-t-il, comme il le souhaite, à composer « une musique plus austère, plus dépouillée que les suites de Bach ? » Anne-José Lemonnier arrive à nous convaincre que ce sera le cas dans ce récit très particulier, véritable hymne à cette presqu’île où elle réside elle-même et où elle n’en finit pas d’y décliner toutes les nuances du bleu.

 

Pierre TANGUY

bretagne-actuelle.com

16/01/2024