Une forme d’autoportrait poétique

Nous avions quitté Gérard Le Gouic avec ses Lettres de Bretagne et d’ultimes chagrins (Diabase, 2022). Le revoici dans cette forme d’autoportrait poétique qu’il affectionne pour nous parler de ce qui le hante et aussi de ce qui continue à l’animer profondément, en dépit de tout.

 

Sept vers par page, comme dans son précédent recueil. Avec, cette fois, un plus fréquent coup d’œil dans le rétroviseur. Vingt des quatre-vingts textes de ce nouveau livre commencent par la formule « C’étaient » ou « c’était » comme pour revivre un passé que le poète breton se garde d’enjoliver, préférant parler « d’entassements de strates » ou « d’enlisements de souvenirs ». On notera, malgré tout, une forme de nostalgie dans l’évocation de ces « temps anciens de la poésie », de ces « temps irréversibles de la poésie » et de cette époque où la poésie lui « remplissait les yeux » et « comblait ses sens ».

 

Mais, un jour, arrive ce que l’on pense ne jamais devoir arriver. « C’était sur le coup de telle heure / je ne m’en étais pas inquiété ». Et pourtant, « cela devait se produire/j’en guettais les prémices ». A bientôt 88 ans, en effet, on sait bien que tout peut arriver. Mais Gérard Le Gouic a l’élégance de ne pas s’apitoyer. Simplement dire : « La fatigue commençait à me diminuer ». Et, en définitive, faire ce constat : « Je bute sur l’ultime, ou presque, étape/que je ne pensais jamais rejoindre ».

 

Arrive alors le moment d’effectuer, à mots feutrés, un voyage dans le temps pour raviver des moments, des lieux, des êtres. Pour parler de la femme aimée disparue : « Tu m’étais apparue (…) comme une aurore qui m’éclaira d’un coup ». Et encore aujourd’hui, le poète peut écrire : « J’ai des relents de ton parfum/sur mon visage… ».

 

Cet autoportrait (plus que jamais en noir et bleu, comme il le titrait en 1980 dans son recueil publié chez Rougerie) le conduit aussi à nous parler, à nouveau, de ses rapports à l’époque, au monde et aux autres. « Je suis plus sensible à la douleur/qu’à l’absence de mes semblables/à mes côtés qui resteront à jamais/des étrangers, des mondes à part,/impénétrables comme je le suis à moi-même ». Gérard Le Gouic nous raconte ici aussi être « encombré de défauts ». Il nous demande d’être « patients » comme il s’efforce lui-même de l’être. Et dans une pirouette donc il a le secret, il tient à rassurer ses congénères pour lesquels il a eu, parfois le dent dure : « Ma traque touche à sa fin ».

 

Pierre TANGUY.

Bretagne Actuelle 21 mai 2024

Gérard Le Gouic : « Journal de rien et au-delà »