Ce court roman s’appuie sur un événement réel : le 1er janvier 1937, le poète Max Jacob, retiré depuis plusieurs mois auprès de la basilique de Saint-Benoit-sur-Loire, reçoit la visite surprise du peintre Pablo Picasso. Les deux grands amis ne se sont plus vus depuis des années. Si le poète a trouvé un équilibre et une sérénité dans la foi, tournant le dos à Paris et à ses vertiges, le peintre traverse quant à lui une violente crise artistique et existentielle.
Rien n’a filtré, historiquement, de la conversation qu’ils ont tenue dans cette soirée mais l’auteure explore avec finesse les liens complexes, faits d’admiration et de souffrance, qui soudent ces deux génies de la création artistique pris dans la tourmente de l’Histoire.
La révélation la plus inattendue, de cette fiction (car s’en est une), est celle de la nouvelle passion de Picasso pour l’écriture poétique. En soumettant ses pages à Max Jacob, Picasso vient chercher l’assentiment de celui qu’il considère comme son maître en poésie.
Au fil de la soirée, les divergences entre eux apparaissent comme deux faces inconciliables d’une même quête artistique et spirituelle. L’apogée de cette tension survient lorsque Picasso demande abruptement à Max Jacob de rentrer avec lui à Paris.
Pour le poète, cette proposition fait ressurgir le spectre de ses vieux démons, ceux de la tentation charnelle et des errances passées. Mais elle dit aussi la force du lien qui continue, envers et contre tout, à unir ces deux êtres que le temps a éloigné. C’est ce que révèle la longue lettre que Max Jacob adresse à Picasso dans les jours suivants.
C’est dans la conscience aiguë de cet éloignement que Max Jacob et Pablo Picasso éprouvent paradoxalement la force inaltérable de leur lien, manière de transcender « un chagrin de trop ».
Renaissance de Fleury n° 291 septembre 2024