« Je me souviens simplement avoir bien rigolé en sa compagnie, aux dépens des poètes saturniens et de bas-bleus péremptoires. Nous nous étions compris. L‘amitié a aussi ses coups de foudre. »
Ainsi Hervé Jaouen raconte-t-il sa première rencontre avec Anne Pollier, en 1986 à Pont-l’Abbé, lors d’un congrès d’écrivains. Ils ne se reverront qu‘une fois, le temps d’un dîner, mais vont correspondre durant sept ans.
La parution de cette abondante correspondance aux Editions Diabase doit sa valeur à la relation confiante qui, au-delà de — ou grâce à — l’écart d’âge, unit les deux écrivains.
Ils ne s’écrivent pas dans la perspective d‘une publication, mais Hervé Jaouen perçoit rapidement la valeur littéraire des lettres d’Anne Pollier, où elle met à son insu tout le talent qu’elle ne parvient plus à mettre au service du roman.
« Anne Pollier s‘apparente pour moi à ces auteurs américains et irlandais dont la prose est un mystère : comment une telle émotion peut-elle naître de tant de simplicité ? »
Et ces sept ans de correspondance, jusqu‘à 1993, racontent une belle histoire d‘amitié entre la « petite dame pétillante » qui a connu un succès très rapide dès l‘après-guerre (son roman Femmes de Groix fut l’un des six ouvrages qu’elle a publiés chez Gallimard), mais qui, gagnée par les maux du grand âge, n‘a plus “d‘image à vendre“, et un écrivain en pleine maturité (de trente-six années son cadet), vivant dans « l’obsession du temps » (c‘est entre autres la période du Journal d’Irlande, d’Hôpital souterrain, de Flora des embruns et d’Histoires d’ombres).
Malade du cœur, elle voit en lui son « quatrième fils », et leurs deux univers s’entrecroisent : l’Irlande, la chasse « contemplative » à la bécasse, la pêche à la truite, pour l’un ; et pour l’autre, le souvenir des jours heureux avec son mari, les vacances en tandem, mais aussi la douleur physique, la solitude, la dépression après la mort du conjoint.
Elle ne peut plus écrire, lui ne peut plus ne pas écrire : cela suffit à les lier, à quoi s‘ajoutent un esprit et une vivacité communs.
Le charme de cette correspondance tient à ce qu’elle conjugue la rudesse de l’humaine condition et la douceur d’un pur chant d’amitié, jusqu‘au seuil de la mort, entre deux personnes qui ne se voient jamais.
Tous les thèmes abordés sont liés par cette musique unique, celle du lien chaleureux de deux écrivains qui se disent leur admiration, avec l‘exaltation d’épistoliers romantiques.
Daniel Morvan / Ar Men juillet-aoüt 2007