Une petite lueur d’espérance palpite encore

Bluma Finkelstein a des comptes à régler avec Dieu. La poétesse israélienne le dit dans un livre à la tonalité plutôt sombre où lui reviennent en mémoire, par bribes, les drames suprêmes de la Shoah et où elle s’alarme de la cruauté d’un monde qui n’en finit pas de décliner le massacre des innocents.

 

Pétrie de culture judéo-chrétienne, Bluma Finkelstein, professeure émérite de l’université de Haïfa, apostrophe un Dieu tout-puissant qui assiste impuissant au désordre du monde, suscitant de sa part cet avis : « Clore le chapitre de la miséricorde divine ». Elle le dit dans de courts textes en prose poétique particulièrement percutants, le plus souvent désabusés. « Je suis fière de ma place dans le cendrier de l’humanité ». Ailleurs, parlant de la résurrection de Lazare voulue par le Christ, elle écrit qu’il « ne sortit pas de sa tombe », mais « ne cessait de courir dans les couloirs surchauffés de Birkenau ». Plus loin, évoquant le Massacre des Innocents évoqué dans l’Évangile, elle a cette remarque douloureusement ironique à l’adresse d’un Messie qui, comme le raconte l’Évangile, sauve sa peau : « Je te félicite, car tu es revenu en bon état, sans même une égratignure ».

 

Quant à la Terre d’Israël, faisant référence à ce pays décrit dans la Bible comme étant celui où coule le lait et le miel, elle ces mots très durs : « Ton lait ne m’a pas désaltérée. Ton miel m’a rendue malade, j’ai dû me piquer à l’insuline ». Et, au bout du compte, ce terrible aveu : « je n’espère plus  (…) je ne suis qu’une anonyme de passage dans une longue histoire d’errance ». Cette histoire d’errance est bien sûr celle des Juifs. Elle est aussi celle de tous les errants contemporains, « toujours les mêmes déplacés, chassés, déportés  (…) ils chantent en arabe et en hébreu ».

 

Pour autant, doit-on se contenter d’un cri de désespoir ? Avoir été « formatée à la douleur » est une chose. Mais il y a eu, avant, « la trame d’une vie heureuse » et aussi ce « passé lointain qui nous semblait plus accueillant que ce qui nous attend ». Aussi La poétesse peut affirmer : « Mes nostalgies sont restées prisonnières de la beauté du monde ». Est-ce suffisant pour tenir debout ? Pas certain du tout, à cause de cette « machine infernale qui tourne sans arrêt ». Alors, écrire pour s’en sortir ? Oui, mais « c’est comme mourir pour la patrie en se croyant utile », affirme Bluma Finkelstein.

 

Malgré tout une petite lueur d’espérance palpite encore. « Cependant on avance, on continue le combat contre le temps, on arrose la terre de notre sueur et on envoie au bon Dieu des suppliques sans valeur ». Cette supplique, par exemple :

« Pour tout l’or du Rhin, nourris ton peuple de cette manne fraîche, comme le coton. Donne-lui, le pot de viande laissé sur le feu en Égypte  ».

 

Dans un précédent livre, La dame de bonheur (Diabase, 2019), Bluma Finkelstein avait sorti sa « grammaire de survie », affirmant que « le bonheur est l’effet de la connaissance ». Elle le dit encore, implicitement, aujourd’hui, mais en empruntant un chemin semé de doutes.

 

Pierre Tanguy

Des sources et des livres

29/04/2025

http://www.dessourcesetdeslivres.fr/Lectures_PTanguy.html#Ancre_Finkelstein-Ordurhin