Un roman envoûtant à la mesure de la beauté du mystère des peuples portés par leurs rêves et leurs rites.

Sous le nom de Diabase, une maison d’édition s’est récem­ment installée à Plancoët, petite ville bretonne où Chateaubriand passa son plus jeune âge. Diabase est un nom grec bien singulier qui désigne à la fois la marche, le voyage et la base, la stabilité tandis que le préfixe (dia-) indique la séparation, la traversée, l’exploration menée jusqu’à son terme. Mais aussi quel juste vocable pour évoquer l’essence de la littérature qui nous installe dans notre nature humaine en même temps qu’elle nous jette sur les chemins de la culture pour aller à la rencontre de l’autre.

La publication du premier roman des éditions Diabase devait illustrer au mieux ce programme impli­cite : mission accomplie avec Issek d’Hervé Carn.

 

Bien étrange ce roman, dont on a peine à dater l’histoire : ce pourrait être vers la fin du Moyen Age. Le lieu ? Au bord d’un fleuve au nom doux et féminin, l’Alyse, où s’endort une cité qu’anime encore le peuple Issek, sorte d’immigrants tolérés.

Mais la cité n’en finit pas d’oublier son passé en de vains efforts et néglige l’avenir, ne se préoccupant que d’un « interminable présent que le Conseil avait décrété valeur ultime », car « la grande harmonie du présent, c’est cela une société moderne ».

Mais le présent pris pour seul but ne conduit-il pas à l’immobilité ? Toute politique de l’immédiateté n’a-t-elle pas la rigidité du fossile ?

Seuls, dans la cité, Léopold et Mathias seraient porteurs d’avenir parce qu’ils connaissent encore le passé. Mais ces anciens combattants d’une guerre désormais honnie n’ont pas voix au chapitre du présent. Pourquoi donc ? Pourquoi la cité refuse-t-elle de revoir son passé, de le prendre en compte alors même qu’une délégation d’un peuple venu d’au-delà des mon­tagnes l’y invite ?

 

Etrange, bien étrange, comme le récit d’Hervé Carn fourmillant de mystères et de secrets jusqu’à ce que le chef de la police, Othon, que l’on croi­rait d’abord une brute sournoise, entreprenne son enquête et décide d’« ouvrir » l’histoire. Dès lors, le récit s’éclaire tout en conservant sa part d’ombre.

 

Par le charme nostalgique des mots, par sa puissance évocatrice, par le rythme des phrases, Issek est un roman envoûtant à la mesure de la beauté du mystère des peuples portés par leurs rêves et leurs rites.

Ceux-là mêmes auxquels l’avenir ouvre ses portes.

 

Yannick PELLETIER / PÈLERIN MAGAZINE N° 5976 – 13 JUIN 1997