Alexis Gloaguen au cœur de la création artistique

Hanté et talentueux, Alexis Gloaguen est un écrivain unique. Ni proprement nouvelliste, ni romancier, ni poète, il est tout cela à la fois et bien davantage. Tout l’intéresse, les hommes et les femmes, leurs manières d’être, leurs communes misères. Toujours, il cultive son écriture propre. Celle-ci est tressaillement parcouru d’inquiétude, frisson, découverte toujours interloquée du réel qui cogne à la porte de nos yeux. Son dernier ouvrage, Cœur de cobalt, le conduit à écrire sur l’art à partir de ses rencontres avec six plasticiens, pour certains installés en Bretagne.

 

Longtemps, Alexis Gloaguen nous a menés avec lui en promenade. Pourtant, ses ouvrages, qu’ils nous conduisent dans l’Ecosse des hautes terres, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Terre-Neuve ou au cœur des mégalopoles des Etats-Unis, refusaient toujours d’emprunter le déroulé sempiternel des récits de voyage. Tout au contraire. L’écrivain ne dérogeait jamais à sa manière à la fois pensive et fantaisiste. Il nous déroutait, s’arrêtait en chemin, mêlait notations factuelles, réflexions philosophiques et naturalistes. Vagabond turbulent, il traversait les paysages au gré de son souverain caprice et nous étions happés par la quintessence de son écriture. Celle-ci s’imposait au rythme calme de son déploiement, attentive, précise, sensible, ténue, vive, toujours « traversée de rêves ». On le devinait également proche des plasticiens mais, à ce sujet, il demeurait discret. Aujourd’hui, il lève le mystère et consacre un ouvrage sous-titré écrire sur l’art. Il le fait à sa manière humble :

 

« Le fait d’écrire sur l’art est entré un peu par hasard dans ma vie. Certes j’avais été formé, lors de mes études, à l’esthétique par certains des grands professeurs de l’époque. Mais je restais naturaliste et le fait de travailler sur les peintres, les graveurs et les sculpteurs fut simplement l’extension de mon écriture de paysage. »

 

ROLAND SÉNÉCA ET YVES DOARÉ

À Douarnenez, Alexis Gloaguen rencontre le dessinateur, peintre et graveur Roland Sénéca. Celui-ci éprouve la conscience vivement aiguë, peut-être douloureuse, de vivre au sein d’un monde fragmenté au sein duquel tout est morcelé. Selon lui, c’est le rôle de la peinture de nous rendre l’univers mieux compréhensible, en nous permettant de nous y repérer et par là d’être mieux capable de nous définir. « Ce qui nous passionne dans cette œuvre, écrit Alexis Gloaguen, c’est le sentiment de retrouver en elle un peu de nous-mêmes, et plus encore d’y voir, devenu lisible, le lien ténu qui nous rapporte au monde, d’y repérer, de multiples manières, la vitalité de la nature. » Ma peinture, dit aussi Roland Sénéca, est fruit de l’union du hasard, de l’inconscient et de mon désir d’organiser l’écoute. Et Alexis Gloaguen, comme en écho :

 

« L’élaboration de l’œuvre elle-même s’effectue selon des voies obscures, étrangement apparentées, dans leur perfection et leur part d’inconscient à celle des corps vivants. Les formes apparaissent dans leur propre logique, l’artiste aide à leur mise à jour et son rôle est de leur servir de révélateur. »

 

À Quimper, le graveur Yves Doaré suit une voie assez semblable. Avouant une « prédilection pour l’insensé, l’incompris, l’inexplicable », il « cherche à déchiffrer l’unité » quand bien même « celle-ci est destinée à demeurer signe pur, espace inatteignable et simple objet de nostalgie ». D’autres rencontres avec Boris Lejeune, Robert Hainard, Francis Mockel et Jean-Claude Roy achèvent de convaincre Alexis Gloaguen que « les rencontres avec des artistes vivants [lui] apportèrent beaucoup. Elles [le] sortirent de la solitude de l’écrivain, d’un monde entièrement construit et truellé en intérieur de coquille, autant que des tentations de l’égo ».

 

Autant que des écrits sur l’art, ce livre est donc, pour le bonheur de ses lecteurs, un délicieux précis de modestie.

 

Alain-Gabriel Monot

ArMen

mai-juin 2024