Bahain raconte une échouée de la vie

Marie-Hélène Bahain fut institutrice à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Cette Colombanaise publie son troisième roman. Un ouvrage qui raconte Evelyne, une cabossée de la vie. Un livre comme une épure, d’une grande beauté, où l’émotion ruisselle sans l’ombre d’un pathos.

 

Évelyne, comme Maggie, la Ladybird de Ken Loach, s’est fait rafler ses trois gamins par l’Assistance publique. Lili sa dernière, elle ne veut pour rien au monde s’en séparer. Evelyne est une pochetrone, une femme qui vit un amour fusionnel avec sa petite et des amours fugaces avec les hommes.

«Evelyne est une échouée de la vie», explique Marie-Hélène Bahain. Une femme qui comble ses brèches, «ses failles», comme elle peut. L’alcool, cette chaleur réelle et illusoire, en est un moyen. Le sexe aussi. rapidement consommé, avec des hommes de passage pour lesquels elle n’est qu’une proie trop facile.

 

Dans l’écriture qui s’insinue de Bahain, nul voyeurisme, aucune emphase et pas plus d’ornementation. « Je n’écris pas de fioritures, jamais. Je vais toujours à l’essentiel. Je ne m’écarte pas. Du moins j’essaie. »

L’auteur écrit sur les gens qu’elle rencontre… au niveau de la sensibilité. «Les gens que je vois sous un porche m’interrogent. Ils sont le double de moi-même. Pas grand-chose ne me sépare d’eux.» Car Bahain regarde ses héros fragiles comme l’Albert Cohen du « O vous frères humains » : avec le coeur de la fraternité partagée, de l’empathie, « J’ai la certitude qu’on marche sur un fil. Que la chute peut aller très vite. J’ai un grand sentiment de fragilité. »

 

Submergée

 

Marie-Hélène Bahain raconte une histoire qui secoue, « L’histoire d’Evelyne ne pouvait être autre que tragique. » Son passé la rattrape. Son père violeur, sorti de prison, la menace encore. Dès lors, « garce », le mot répété innocemment par sa petite fille, la met hors d’elle, comme un retour du refoule. « La douleur la submerge. Sa violence naît de tout ce qu’elle n’a pu dire. »

 

On ne vous dira pas la fin de l’histoire, belle comme une scène célèbre d’un roman de Virginia Woolf. On vous signalera seulement que cet ouvrage, bâti formellement sur une écriture précise et minimaliste (là est l’épure), livre des clés au lecteur. Il renseigne sur la dureté d’un ordre qui prétend sauver les enfants. Où est la cruauté, se dit-on. Dans la mère qui frappe son rejeton ou dans la société qui le protège en le privant de son nid ?

 

Le troisième roman de Bahain, peut-être le plus abouti, est comme une ode à lhumanité de ceux qu’on nomme marginaux. Lesquels, l’écrivain le rappelle opportunément, nous ressemblent étrangement. Ça vous inquiète ? Moi aussi et c’est tant mieux.

 

Gaspard NORRITO / Ouest-France 2.03.2004