Ce quelque chose que l’on ne peut ni toucher ni voir

Au cours de sa vie Jani a dit non plusieurs fois. Non à ce qui serait soumission, non à ce qui étoufferait la création. Oui aux voyages en Inde, oui à un chemin spirituel.

 

La musique intime de la plasticienne au parcours si singulier se joue à fleur de peau, à fleur d’âme. Entrer dans la lecture de ce livre, c’est percevoir un lien de soie qui ondule entre les textes, tissé de cinq fils : amour, peinture, nature, invisible, sacré.

 

Solaire

 

Une jeune femme, dansante, les mains au-dessus de la tête, des fleurs dans les cheveux : l’image revient, de la joie et du flamenco, de l’ivresse des musiques et des rires. La fête honore ce qui se redresse, brille, témoigne d’instants hors l’usure du temps. Une légèreté s’invite. Une féminité s’expose. Et puis il y a la mémoire qui agite ses images et ses sons, ses odeurs et ses frissons.

 

Peu à peu se dessine le portrait d’une femme solaire, ardente lutteuse au rêve d’harmonie. Son paysage intérieur nomade, de précipices et torrents de montagnes, est gardé par la présence de dieux et de grands sages. Planté de jardins et d’arbres, d’iris blancs et de lys orangés, le regard tendre d’un chien ou celui énigmatique d’un tigre, peuvent y surgir soudain…

 

La langue de Jani s’allège parfois d’articles et de pré-positions, invente un mot. Sa poésie, aimantée par la magie des lieux, est portée par des images intimes, petits drapeaux de prières flottant au vent, ou arc-en-ciel comme un pont de lumière ralliant deux univers.

 

« On peut avoir une vie double » dit-elle pensive au cours d’un échange, une vie ouverte à la fois au visible et à l’invisible.

 

À plein cœur

 

« Il est tard dans ma vie », note Jani dans un mouvement de « battement d’aile » qui lui est propre. Les mots se pressent alors pour dire le deuil de l’amour et la présence de l’absent. Un amour qui a effacé tous les autres : « Il est tour à tour ma jeunesse et mes cheveux blancs » confie-t-elle. Grand guitariste de Flamenco et plasticien aux rigoureuses compositions, Felipe Gayo est celui avec lequel va se partager la quête. Ils se feront chasseurs-cueilleurs de Vérité. L’amour comme une évidence charnelle, une irradiation du cœur, mais aussi une exigence, et le souvenir même de l’amour qui est encore exigence.

 

Et puis l’inéluctable. Les heures douloureuses de qui « souffre à perdre espérance d’une difficile absence », s’expriment en des textes où le désespoir se cogne au respect de soi et de la vie, une posture qui l’entraîne à s’interroger sur le comment « vivre sans chagrin dans le jardin des cendres ».

 

L’âge, le découragement, les pannes d’énergie, rien n’est nié, ni caché. Mais aussi la tendresse d’un fils, les amis précieux. La douleur trouve respiration dans la prière, la prière trouve espace dans la peinture, et la route vers l’autre s’ouvre à nouveau.

 

Passion peinture

 

Passion de peindre et quête spirituelle se nourrissent ensemble dans un balancement entre l’ornemental et le dénuement. Faire d’un carré ou d’un rectangle, un espace méditatif où la beauté dispersée dans le monde se resserre soudain, où l’or et la couleur conversent en murmure, où périphérie et centre suggèrent un secret qui questionne et apaise. Somptuosité des mandalas, où la rigueur de la géométrie s’allie à la matité de la nuit et l’éclat d’un jour sans fin de la feuille d’or qui bat au centre. Fait plier la tristesse et la plainte. Don du Silence.

L’ornementation n’est pas maquillage qui camoufle, mais parure qui révèle. Il y a dans son esthétique, une géométrie fondatrice, des lignes de résonance de l’uni-vers, et affleurent au fil de la pensée vagabonde des points de connaissance, des sources de sagesse.

 

Chercheuse de ciels

 

Jani emprunte de petits chemins quotidiens partagés, et d’étroits chemins de montagne où peu s’aventurent. Elle écoute. Lit. Se remet en question. Doute. Prie. S’interroge sur « la beauté de la mesure ». Prend appui sur la sensualité du corps du monde, sur l’imaginaire qui ouvre à tous les voyages. C’est ce lien entre corps, cœur et invisible qu’elle s’attache à consolider chaque jour, un lien toujours fragile mais structurant.

 

« Les faits du jour ne m’intéressent que s’ils sont en relation, d’une manière ou d’une autre, avec ce quelque chose que l’on ne peut ni toucher ni voir. »

 

Au long de ces Feuilles d’or nous cheminons aux côtés d’une artiste à l’écoute des échos entre charnel et sacré, en connexion sensible avec l’impalpable.

 

Jusqu’au dernier instant, semble-t-elle murmurer, travailler à l’ouverture, à la disponibilité pour demeurer solidaires du vivant, l’âme pleine.

 

Cypris Kophidès