Ces 140 pages, fort bien écrites, se lisent à toute allure.

Qui aurait soupçonné que le lugubrement sérieux Auguste Comte aurait trouvé l’inspiration de son Catéchisme positiviste dans les jupons de Clotilde de Vaux, certainement plus divine que Caroline Massin, son épouse ?

 

Entrant dans la psychologie d’Auguste Comte, philosophe austère soudain illuminé par la beauté renaissante d’une femme intelligente, ce petit livre verse davantage vers la littérature et la philosophie (Elisabeth Laureau-Daull a enseigné l’un et l’autre), et ses 140 pages, fort bien écrites, se lisent à toute allure.

 

Auguste Comte, le pape du Positivisme, s’encroûtait dans une philosophie dont, en athée militant, il avait banni toute transcendance. Physiquement, Comte est un remède à l’amour : « Il est laid. Il est petit. Son torse est long, son ventre est gros, ses jambes sont courtes, rien n’a jamais eu les proportions rêvées chez lui. Sa bouche, qu’un tic déforme, est mince. Le blanc de ses yeux est veiné de rouge. » Et une calvitie frontale précoce lui a certainement fait un front de penseur, mais « la mèche napoléon qui lui tombe sur le front ne fait plus illusion. »

 

Ce ver de terre tombe amoureux d’une étoile, d’une « divine », comme il l’appelle. Émile Littré, son disciple et le futur auteur du Dictionnaire, le sermonne : « Il ne s’agit pas de passion, mais de possession. Et si cette femme vous possède, c’est parce que vous ne la possédez pas. » Bref, le philosophe est esclave de sa passion, comme jadis Aristote qui d’après la légende consentit à se faire passer un mors et à servir de monture à la belle Phyllis — c’est ce que raconte le Lai d’Aristote (vers 1220). Ce n’est guère plus ridicule qu’Hercule vêtu en femme et filant la quenouille aux pieds d’Omphale.
Ah, ces hommes sous emprise… Ils devraient porter plainte, tiens !

 

« Qui aurait pu prévoir que l’homme froid et guindé qui se consacrait à la méditation pût céder au démon qui s’empare du mâle vulgaire au milieu de sa vie ? » La « divine » Clotilde est-elle seulement le marqueur d’une midlife crisis ? D’autant que le philosophe « n’avait jamais considéré que les femmes fussent une aide au progrès… »

 

Ce petit roman vrai raconte excellemment la manière dont une femme d’esprit (Clotilde de Vaux, avant de mourir précocement de phtisie galopante, a eu le temps de publier un recueil de poésie et deux nouvelles) infuse sa sensibilité dans le cœur desséché d’un pur intellectuel afin qu’il élabore une philosophie sociale dont l’amour serait enfin la transcendance.

 

Jean-Paul Brighelli

21 mars 2024

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