C’est aussi la peur de disparaître qui fait devenir créateur

La simplicité est mise en exergue puis répétée tout au fil de l’entretien avec l’éditeur Cypris Kophidès dont les questions sont bien ciblées.

 

« Etre simple, c’est être libre, ouvert, éveillé. C’est être sensible et vulnérable. La simplicité, c’est le seul chemin qu’on puisse emprunter quand on veut aller vers l’autre. »

 

L’échange s’inscrit dans un long parcours ininterrompu, reprenant les principales orientations des multiples précédentes rencontres et la création même de l’auteur.

Juliet part de l’aventure intérieure périlleuse et douloureuse pour accéder à une clarification de soi en prenant l’écriture comme support. Ainsi parvient-il à éclairer l’inconscient en l’ouvrant et le faisant surgir à la surface, à s’unifier, être soi totalement et s’organiser autour d’un noyau fondateur qu’il fallait percer pour ensuite le maintenir après une longue descente aux enfers.

Sa poésie, où les mots coulent au rythme de la marche, est en effet tournée vers l’inconscient sans même que Charles Juliet ne s’en rende compte pendant des années.

D’ailleurs, il ne comprend pas les mots qui viennent s’incruster sur la page en ces moments-là. ll lui fallait trouver l’origine réelle du désarroi si radical.

Les doutes, le chaos, la sécheresse, les pensées nuit et jour ne cessant de tourner jusqu’à épuiser celui qui en était victime accompagnées d’une « hyper lucidité », sont de nouveau soulignés. Juliet parle aussi de ses années de lecture se substituant à l’écriture qui était encore impossible.

Une quête de soi se dessine dans le silence, le retrait, les attentes, les réceptions, les illuminations. Toujours, l’auteur fut placé sous l’injonction d’une « instance morale », un Surmoi qui allait jusqu’à l’humilier :

 

« Ne sois pas égocentrique, ne vis pas dans une cave, annihile ton moi, marche au grand air, sois libre dans ta tête, et tu trouveras la lumière. » « Cette instance exige également d’être bon et d’aimer autrui. »

 

Aller vers autrui a sans doute pris du temps : muré dans le mutisme, Juliet rencontrait peu d’êtres susceptibles de le comprendre et de l’écouter.

Les autres, il les rencontre aujourd’hui, en grand nombre, mais désire toujours rejoindre le silence d’antan, car le dehors est souvent vorace et finit par laisser peu de place aux exigences inscrites dans les livres de l’auteur. Juliet explique également la nécessité pour lui de transcrire un monde sensitif et d’utiliser des mots accompagnant celui-ci dans une grande matérialité. L’entretien le mène à rappeler l’importance de l’écriture du récit Lambeaux qui lui a permis de renaître après avoir retrouvé la mère biologique.

L’ennui qui l’avait torturé pendant de si nombreuses années l’a soudain quitté, cet ennui issu d’un manque.

 

Quelques nouveaux souvenirs émergent, certains d’entre eux étant donnés grâce à des révélations tardives de la part de ses proches.

Ainsi, apprenons-nous que Juliet fut pris de migraine suite à la première parution d’un de ses écrits et à la rencontre avec ses lecteurs. On apprend également que ses frères et soeur furent maltraités par leur famille d’accueil respective.

Séparés de leurs mère et père, les enfants étaient considérés « socialement inférieurs qu’on pouvait blesser, malmener. »

 

 

De l’expérience de l’écriture, il rappelle qu’il met du temps à écrire : « il me faut remâcher les mots que j’emploie. »

Charles Juliet tient longtemps « la mère » dans la bouche avant de s’en libérer, de la libérer. La révélation de l’intime dans ses écrits tout autant que dans ceux des autres écrivains est essentielle.

La singularité est recherchée et traduite par un style.

 

L’entretien développe et achève tout le cheminement d’un trajet, d’une expérience, d’une pensée d’un être suivant le rythme d’une marche ternaire.

Comme Charles Juliet a freiné l’émergence de l’Inconscient pendant de longues années, le travail a été plus lent.

L’auteur a laissé peu de place au déploiement de l’imaginaire.

A peine une phrase inscrite, qu’il revenait sur celle-ci pour la corriger, cela est bien le contraire de « l’abandon », excepté en poésie où il précise la coulée des mots de manière incontrôlée.

 

Laisser une trace tient à coeur à Charles Juliet. C’est aussi la peur de disparaître qui fait devenir créateur.

 

Nelly Carnet / Le Mensuel littéraire et poétique n°344