Que voilà un titre habile ! J’ai tout de suite été happée : quel rapport pouvait-il y avoir entre l’austère philosophe positiviste de la fin du 19eme siècle, Auguste Comte, et une « mijaurée », ce mot un peu désuet qualifiant une jeune prétentieuse minaudière.
Mieux quelle appartenance, suggérée par le possessif ? Ce terme de « mijaurée », c’est l’épouse répudiée du vieux philosophe qui l’emploie en parlant de sa rivale. Sa maîtresse ? Mais non, justement elle ne l’est pas et c’est ce qui selon elle affole le vieil homme, lui fait dilapider son argent et ruine sa santé. Il faut que cesse cet envoûtement. La malheureuse Caroline décide d’aller trouver la belle pour la persuader de céder à celui auquel elle tient la dragée haute et elle en informe l’intéressé.
Celui-ci, inquiet des violences possibles de sa femme à l’encontre de sa bien-aimée, ne tarde pas à lui emboîter le pas dans la direction du domicile de la jeune Clotilde. Lequel des deux arrivera le premier ? C’est à ce double déambulatoire dans les rues de Paris que nous assistons, réglé avec une précision d’horlogerie, et nous faisant passer des pensées de l’un puis de l’autre des conjoints ennemis. Tandis que la mijaurée, chez elle, interroge ses sentiments et lutte contre la maladie réelle et terrible qui est la sienne : la tuberculose, appelée alors phtisie.
Ce pourrait être un vaudeville – la course poursuite des époux en a l’allure, et nous sommes à l’époque d’Offenbach. Mais ce ne l’est pas. Même si le récit est mené à un train d’enfer et avec humour, chacun des personnages est vrai et touchant : l’épouse vieillissante, bafouée mais encore aimante, le vieux philosophe génial mais dérangé et sujet à de vraies attaques de démence ; enfin la « mijaurée » elle-même jeune épouse jadis trahie, en quête d’affection vraie et troublée par la tendresse sincère de son vieil amoureux.
Sous couleur de légèreté, car on s’amuse souvent à la lecture de ce bref roman, et l’on est entraîné par la formidable dynamique du récit choral et la vivacité du style, ce sont des thèmes graves qui sont ici abordés : l’amour et le désamour conjugal, la situation des femmes, la vieillesse, la démence… Le cas d’Auguste Comte tristement réel peut nous bouleverser.
Quant à la fin du roman, elle est aussi inattendue que bienvenue, autorisant le rêve en dépit du positivisme !
Marie Sizun
écrivaine