Comme la crue de la rivière en mars

À 91 ans, Gérard Bessière continue à nous dire ce qui l’anime.

Toujours « un peu prêtre » (comme l’a qualifié, un jour, un enfant), il nous parle de ses doutes et même de son « ignorance devant le mot Dieu ». 

Des figures aimées, disparues, surgissent au fil des pages comme s’il s’apprêtait déjà à les rejoindre. « Peut-être qu’à l’instant / où mes yeux s’éteindront / je verrai m’accueillir / les visages aimés ».

 

Gérard Bessière, qui passe aujourd’hui sa retraite à Luzech dans le Lot, fait partie de ces auteurs nés dans le giron du christianisme, devenus prêtres ou religieux, mais qui ont – peu ou prou – pris du recul avec l’institution (quand ils n’ont pas pris carrément le large comme ce fut le cas pour Marcel Légaut ou même Jean Sulivan). Ancien journaliste à La Vie et éditeur au Cerf, Gérard Bessière, lui, est l’un de ses « électrons libres » (demeurés dans l’institution) qui apportent une parole forte et neuve sur la foi, l’Église, le fait d’être chrétien.

 

Ses propos rejoignent, par exemple, les interrogations formulées par des auteurs comme Jean-Pierre Jossua, Gabriel Ringlet, Maurice Bellet, Jean-Yves Quellec ou François Cassingena-Trévedy, pour ne citer que quelques uns.

Autant d’hommes plus attachés à creuser le message de Jésus et des Évangiles qu’à défendre à tout prix une Église au langage « fragile ou périmé » et qu’il importe de « dépoussiérer » comme le dit Gérard Bessière.

Une Église qui leur semble un peu trop se crisper et ne paraît pas, à leurs yeux, répondre exactement aux attentes des hommes de notre temps.

 

Ces convictions traversent les derniers écrits de l’auteur, comme autant de courtes chroniques ponctuées de poèmes, sous le titre Au seuil du silence.

 

Ce qui retient aussi l’attention dans ce nouveau livre, c’est l’approche que Gérard Bessière fait de l’existence de mondes éloignés de nous dans l’espace et que la science ne finit pas de nous révéler.

Autant de sujets à lourdes interrogations pour le chrétien qu’il demeure.

 

« L’espace et le temps où se déroulent nos vies éclatent au-dessus de nos têtes. Le ciel étoilé des soirs d’été n’est plus qu’une tenture proche. Au-delà, que d’au-delà, à l’infini ! Les religions ont été les astres qui ont guidé et guident la marche des hommes sur la terre. Le demeureront-elles ? »

 

Constat lucide qui, plus loin, lui fait écrire :

« Les étoiles sont vouées à s’éteindre et déjà les distances interstellaires nous font ressentir le vide du ciel, mais que dire du vide, qu’est-ce que le vide ? »

 

Alors, au cœur du grand âge, l’homme se voit saisi de vertige.

Mais s’il résiste à la peur c’est grâce au silence qui monte en lui « comme la crue de la rivière en mars ». 

Il peut donc rester paisible et disponible, accueillant l’inconnu, cultivant « le goût du beau et tant d’autres conduites ou réalisations qui nous élèvent ».

 

Pierre Tanguyhttp://www.dessourcesetdeslivres.fr/textessources/pierretanguy.htm

Octobre/Novembre 2019