Contemplation et émerveillement sans failles

105 tableaux comme les 105 années vécues par la grand’mère de l’auteure.

 

Anne-José Lemonnier signe un ouvrage étonnant qui tient à la fois du récit, du poème en prose et de la biographie.

Elle raconte la vie quotidienne de son aïeule Angélique dans son jardin (son « missel du quotidien ») au bord d’une falaise, face à une baie qui s’offre, à travers les saisons, à son regard émerveillé. Un lieu « ouvert à l’infini de la mer ».

 

Nous sommes à Plouéden (nom d’emprunt), entre cap et presqu’île, quelque part au bout de la terre.

Mais, à n’en pas douter, en Bretagne occidentale. Angélique tient un atelier de couture. Son mari, après une longue captivité en Allemagne, une petite ferme. Ils ont deux filles : Violette et Blanche.

Mais l’important n’est pas là. Le propos d’Anne-José Lemonnier est de nous faire partager la véritable immersion dans le cosmos d’une femme à l’écoute des vents, du ciel et de la mer…

 

« Dans ce récit, qui n’est pas une histoire, écrit l’auteure, avec un fil, des fils mis bout à bout, mais plutôt un rapiéçage, un ravaudage d’une vie qui a beaucoup servi, usée jusqu’à la trame, j’essaie de me souvenir par la fidélité infaillible de la mer et des fleurs ».

 

Ce souvenir passe, d’abord et avant tout, par l’évocation des saisons dont Anne-José Lemonnier se plaît à souligner l’enchaînement « en douceur ».

Mais avec un mois-clé : mars, parce qu’il « contient tous les temps, orchestre toutes les saisons ». Avec, aussi, l’appel à la langue bretonne pour décrire « la réalité de novembre et de décembre ». Ces bien connus miz du et miz kerzu, littéralement « mois noir » et « mois très noir ».

 

Cette polyphonie des saisons – qui donne son titre au livre – relève de la contemplation et d’un émerveillement sans failles. Certes la bruine « emprisonnait le paysage pendant des semaines entières » mais la baie pouvait aussi réciter, « rouleau après rouleau, comme une litanie, la splendeur bleue d’une journée d’hiver ». Car c’est d’abord le bleu que glorifie ce récit. « Angélique cultivait le bleu dans toutes ses nuances et sous toutes ses formes, le bleu de la mer dans son regard, le bleu des fleurs dans son jardin, le bleu des étoffes dans la couture. Elle avait l’oreille absolue du bleu pour ainsi dire. Elle a aimé, chéri le bleu avec une passion mystique, telle une vocation ».

 

C’est ce bleu qu’on imagine aussi, aujourd’hui, être aimé de l’auteure elle-même. Tout comme on la pressent amoureuse des chats à l’image d’une grand’mère qui vivait, au jour le jour, dans la compagnie du bien-nommé Gant-garantez (avec amour).

Anne-José Lemonnier, en effet, associe cette évocation d’une vie à son propre retour dans ce jardin où Angélique a passé de si longues heures. Son récit montre – s’il en était besoin – qu’elle sait de quoi elle parle. Pour nous raconter ce qu’Angélique a vu et contemplé, elle ne peut qu’en avoir fait, d’une certaine manière, l’expérience elle-même.

 

Il y a, dans ce récit, une forme de liturgie, d’extase mystique, « une religion de la nature accentuée avec l’âge » comme le dit l’auteure à propos de sa grand’mère.

Le soleil couchant devient, ici, une « hostie » célébrant « l’eucharistie des falaises ».

Il y a aussi, dans ce récit, l’art du peintre.

Anne-José Lemonnier avait fait de la peinture le thème de son dernier recueil (Archives de neige, Rougerie, 2007). Elle y soulignait notamment «  le goût des saisons » manifesté par les grands maîtres de l’Ecole de Pont-Aven.

 

A sa manière, par des mots, elle transfigure aujourd’hui des paysages et une vie. Celle d’une femme qui cheminait « au présent des instants » et qui « avec la mer pour clôture inviolable, se sentait à l’intérieur d’une enceinte sacrée ».

 

Pour cette femme, l’auteure souhaite « un paradis aussi lumineux que celui de toute sa vie »

 

Pierre TANGUY 07/05/2018