Entre tendresse et âpreté

« Tu es déjà là. Je distingue au loin ta silhouette, postée, immobile, sous un panneau indicateur, à tes pieds, le contour, informe d’un petit sac. Prends un sac léger, m’avais-tu dit, juste pour quelques jours, la destination, c’est une surprise. »

 

Ce court extrait qui figure sur la quatrième de couverture de Le Ciel de Birkenau, le premier roman d’Isabelle Blondet-Hamon (aux Editions Diabase) est la porte d’entrée pour suivre l’étonnant parcours de trois femmes dans ce qui leur est le plus cher et chair. Une invitation à franchir le seuil de leurs nouvelles vies, de la mort.

Entre tendresse et âpreté. La surprise de découvrir une histoire puissante aux thèmes subtilement reliés.

Mais, ce beau livre, c’est aussi une écriture, forte et exigeante qui résonne autant dans les tunnels de l’amour que dans les camps d’Auschwitz.

Un livre coup de poing et coup de cœur d’une auteure audacieuse et talentueuse qu’il me tardait de vous faire connaître.

 

Quelles sont les raisons derrière un premier roman? Qu’est-ce qui fait, qu’un jour, on se sent urgemment poussé à écrire ?

Mon désir d’écriture n’est pas né avec ce roman. Ce n’est pas très original mais j’ai toujours eu envie d’écrire, dès que j’ai su tracer des phrases. Le plus juste serait de dire que j’ai toujours eu le désir de raconter des histoires moi aussi, parce que j’ai toujours été une lectrice boulimique. Avant ce roman, j’avais écrit des nouvelles.

 

Quels sont les auteur(e)s qui vous ont donnée envie d’écrire? Et quel(le)s sont celles et ceux qui vous influencent ?

Il y en a tellement! Camus, Giono, Colette,  Maupassant, Proust que je relis régulièrement.  J’ai découvert plus tard la littérature japonaise qui m’a fasciné avec Kawabata et Mishima. Dans les contemporains, l’écriture très “musicale” de Laurent Mauvignier, avec ses très longues phrases de monologues intérieurs, m’a sans doute influencé. J’ai été aussi passionnée par le style heurté, saccadé, aux phrases courtes, sèches, qui claquent, de l’auteure de nouvelles Annie Saumont, sa façon particulière de raconter des histoires parfois très dures avec une tendresse malgré tout pour ses personnages. Et puis j’ai lu et je lis beaucoup de poésie, c’est pour moi un idéal d’écriture.

 

 

Comment avez-vous abordé l’écriture de ce premier roman ?

Je voulais transmettre quelque chose. D’abord le témoignage de la rescapée d’Auschwitz à qui est dédié mon livre, que j’ai rencontrée et qui m’a raconté son histoire. Ensuite je voulais témoigner de la difficulté pour les générations suivantes, la deuxième notamment, de se construire avec le fardeau d’un héritage aussi lourd que celui de la Shoah. J’avais rencontré plusieurs enfants et petits-enfants de survivants et leurs souffrances communes m’avaient frappé. Et lorsque je réfléchissais à construire cette façon de transmettre pour moi, s’est aussitôt imposé la fiction, le roman. La fiction a une puissance incroyable pour aborder les thèmes les plus divers. Et puis toutes les histoires ont déjà été plus ou moins écrites! Seule importe la manière qu’a l’auteur de la raconter…

 

Quels sont les écueils que vous vouliez éviter ?

Le pathos, les lieux communs, tout ce dans quoi il est si facile de verser lorsqu’on évoque la Shoah, le cancer et l’homosexualité! J’ai gardé en ligne de mire une phrase de Marie Darrieusecq: “La fiction peut et doit tout prendre en charge. Aucun sujet n’est interdit. Il fallait donner de la hauteur à la souffrance. Seule la médiocrité est insupportable.”

 

Quelles limites vous étiez-vous fixées? Aussi, jusqu’où vouliez-vous aller? Vous êtes-vous surprise au fil de l’écriture ?

Ce qui m’a surprise, c’est d’être allée au bout de mon entreprise. Je me pensais jusque-là incapable d’écrire un roman. Un vieux rêve d’enfant…

 

Je ne vois pas uniquement Le Ciel de Birkenau comme un roman d’amour ni comme seulement un roman sur la mémoire. Peut-être est-ce un roman sur le don? Comment le considérez-vous ?

En réalité, je pense maintenant que ce sont les lecteurs qui me renvoient, sous des myriades de prismes, tout ce qu’ils y voient, reçoivent, tout ce qui résonne en chacun d’entre eux et que je ne soupçonnais pas avoir mis. Amours, mémoire et transmission, don de soi, sans doute, chacun y trouve ce qu’il veut bien laisser vibrer en lui.

 

Certains auteurs pensent qu’une fois l’œuvre achevée, elle ne leur appartient plus? Est-ce aussi le cas pour vous alors que la ‘charge’ autobiographique est prépondérante ici ?

Je ne pense pas que mon roman ne m’appartienne plus, je pense qu’il s’est enfin détaché de moi, comme un enfant qui grandit et a de moins en moins besoin de ses parents. Au contraire de l’image négative du texte qui “n’appartient plus à l’auteur”, je préfèrerai employer l’image plus positive du texte qui se déploie, rayonne, et prend avec le temps et les lecteurs plus nombreux, une ampleur et un éclat insoupçonnés. Et ceci ne dépend pas de la charge autobiographique, mais du labeur minutieux sur la construction et le style. Ce sont mes éditeurs, Cypris Kophidès et Yves Bescond, qui m’ont aidé à accomplir ce travail, par le regard à la fois exigeant et bienveillant qu’ils ont eu sur celui-ci.

 

Le rapprochement, la mise en parallèle des deux cancers qui rongent Mimi est totalement réussie. Comment vous est venue cette ‘évidence’ ?

Ce rapprochement était la plus grande difficulté de l’entreprise. Je voulais mettre en parallèle l’expérience concentrationnaire et celle du cancer en les mettant sans cesse en convergence. C’était une gageure narrative. J’en suis venue à bout grâce à une astuce de narration (la cassette vidéo) que j’ai mis un moment à trouver. Quant à la vraisemblance psychologique de ce parallèle, je suis allée voir du côté de l’ethnopsychiatrie et de la socio psychologie. J’ai notamment découvert le témoignage d’un homme qui était passé exactement par le même cancer, les mêmes stades, et qui l’analysait de la même manière! Le cancer comme expérience concentrationnaire, pour être digne de son existence, digne de son grand-père, c’était incroyable! Dès lors je n’ai plus douté de ce parallèle. La romancière Catherine Mavrikakis dans son livre Le Ciel de Bay City, utilise aussi à un moment le même, je l’ai découvert après.

 

Êtes-vous, vous aussi venue à bout d’un ‘cancer’ que vous ignoriez en écrivant ce livre ?

J’ai  enfin réalisé un très vieux rêve d’enfant: écrire, publier un livre dont je suis fière.

 

Le Ciel de Birkenau, La Vie d’Adèle (récemment primé à Cannes), deux histoires pour un même combat? Comment avez-vous vécu ces nombreuses manifestations contre le mariage pour tous, contre l’adoption par les couples de même sexe?

Je n’ai pas vu La Vie d’Adèle ni lu la BD dont le film est tiré. En aucun cas je n’ai voulu que Le Ciel de Birkenau soit le manifeste d’un combat. Le roman parle de l’amour entre mère et fille, et de l’amour entre deux femmes. Mais tout lecteur peut s’y reconnaitre, les protagonistes auraient tout aussi bien pu être deux hommes ou… un homme et une femme! L’amour ne peut être réduit à la sexualité!

 

En quoi votre livre peut-il faire changer le regard de celles et ceux qui s’y sont obstinément opposés?

Peut-être justement parce que toute identification est possible, grâce, j’espère, à cet amour dont il est question.

 

Pouvez-vous nous parler de Diabase, votre éditeur tourangeau ?

Diabase a été créé il y a une quinzaine d’années par Cypris Kophidès et Yves Bescond. La maison possède un beau catalogue de plusieurs collections, littérature, entretiens, récits. Charles Julliet, Yvon Le Men et Hervé Jaouen en font partie. Mais ce qui fait leur spécificité, en tant que petite maison d’édition, c’est le soin avec lequel ils sélectionnent leurs coups de cœur. Ils croulent sous les manuscrits et font, comme beaucoup de petites maisons, un véritable travail de découverte et d’accompagnement de nouveaux auteurs. Ce sont deux passionnés, très professionnels, que j’estime avoir eu la très grande chance de rencontrer. Je dis souvent que ce sont mes parents d’écriture. Ils  m’ont beaucoup aidé à la réalisation finale du Ciel de Birkenau, par leur regard pointu, leur volonté que j’aille jusqu’au bout. Je les ai croisés au moment où je ne croyais plus vraiment en mon texte. Grâce à eux, j’ai appris le “métier” d’auteur, le travail de l’écriture.

 

Quels sont vos projets d’écriture ?

Un second roman tout d’abord, qui s’avère être plus difficile à écrire que le premier. J’ai l’impression d’avoir écrit le premier en toute inconscience, d’une certaine manière.

 

Quels sont les prochains thèmes que vous aimeriez explorer? Quels sont vos prochains défis ?

L’enfance, l’enfant intérieur que chacun porte en soi. L’écriture à elle seule est un défi dans le monde où nous vivons. Elle demande retrait du bruit, de l’hypersollicitation, éloignement, solitude, temps,  pour atteindre à une disponibilité intérieure qui permet de libérer les limons déposés en soi. Toutes choses à l’opposé de la société dans laquelle nous sommes.

 

Pour finir, si vous deviez résumer Le Ciel de Birkenau en UN mot, lequel serait-il ?

Un seul mot me parait réducteur, j’en suis incapable, je charge mes lecteurs de le trouver. Une phrase peut-être? « L’indéfectible bonheur de se sentir en vie chaque jour », cela me plait assez…

 

Un grand et chaleureux remerciement à Isabelle Blondet-Hamon et Gilberte

 

http://iamalungfishsong.edicypages.com/interviews / juin 2013