Et nous, que savons-nous ?

Prêtre, écrivain, poète, diariste, ancien journaliste, éditeur, homme de radio et aumônier auprès d’équipes de l’enseignement public, Gérard Bessière est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont Jésus, le dieu inattendu (Gallimard), traduit dans le monde entier, et L’Enfant hérétique (Albin Michel).

Né en 1928, il vit aujourd’hui retiré sur ses terres du Lot, à Luzech, ce qui ne l’empêche pas de continuer à recevoir les échos du monde, les amis – nombreux – qui viennent à lui et à convertir en mots ce qui prend forme au long de ses pérégrinations intérieures.

 

Ces dernières années, il y eut La Ferveur du jour, La Sève de nos vies, L’Arborescence infinie (Diabase)… Celui qui, à la suite de Jean Sullivan, ne rejetterait pas le qualificatif de «libre penseur chrétien», publie Sentiers, dans lequel il écrit : «Je suis un agnostique qui attend.»

Connu pour ses prises de position très libres, dans lesquelles transparaît son incompréhension face à certaines évolutions ecclésiales, ce «contestataire souriant» s’avance ici avec conviction mais sans esprit de polémique – et même dans un réel dépouillement.

Sa capacité d’émerveillement intacte, même au contact de souvenirs lointains, nourrit une réflexion pleine de «points d’interrogation» : « (…) dans mon modeste ciel intime, j’accueille mes limites, les profondeurs obscures du monde et de la vie, mon désir inassouvi de connaissance… et cette flamme éphémère qui me fait dire “je” ».

 

L’«assurance» du «langage d’Église» face au «Mystère» comme richesse inépuisée du réel, science et foi, ressac du passé, immanence et transcendance, écoulement du temps, liberté intérieure sont autant de prismes pour la même question profonde… À celle-là – «Gérard Bessière a-t-il encore la foi ?» –, l’auteur répond et interroge sa réponse, sans complaisance.

La Bible et sa «diversité arborescente» l’amène au mot, à commencer par le premier d’entre eux – Dieu –, dans le sillage de Grégoire de Nysse («Dieu au-delà de Dieu») et de Maître Eckhart («Je prie Dieu qu’il me déprenne de Dieu»).

 

Les sentiers de Gérard Bessière l’entraînent vers ce silence qui exprime le trop-plein. Mais entre les deux se déploie le poème, langage de l’Ineffable : «les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux», écrivait René Char. La nuit rêve d’aurore – recueil de quarante-trois textes, tous magnifiques – célèbre et reformule une même espérance, un même ferment: «Quand la goutte éperdue/Dans la foule du fleuve/Aborde l’infini/De l’océan muet/Peut-elle remercier/La source si lointaine/Qui lui donna la vie/En un jour oublié ?», demande Bessière le poète.

 

Avant de répondre avec un ultime point d’interrogation : «Et nous, que savons-nous/Sur nos chemins brumeux/De la naissance obscure/Que nous portons en nous ?»

 

Arnaud Schwartz  / Journal LA CROIX du 16 avril 2014