Géraldine Jeffroy livre un travail d’orfèvre

Un peu avant la guerre, Max Jacob, qui vit reclus, quasiment pénitent dans un obscur village du Loiret, reçoit la visite du grand amour de sa vie, Pablo Picasso.

Le fait est avéré, la correspondance de Jacob en témoigne. Son ami est en effet venu le voir accompagné de Dora Marr et de son fils Paulo. Il avait des poèmes à montrer au poète.

 

A partir de ce qui pourrait n’être qu’une anecdote biographique, Géraldine Jeffroy brode, imagine, devine, ressuscite. Elle s’engouffre dans la relation complexe qui lia les deux artistes pendant des décennies. Elle dresse de Max Jacob un portrait profond, tendre, émouvant. Lui le juif breton, converti avec ferveur à un catholicisme auquel il s’accroche du fond de sa retraite. Elle lui donne l’occasion d’exister, simplement, face à l’ogre Picasso et c’est déjà énorme.

 

Pour qui connaît la trajectoire de ces deux-là, Géraldine Jeffroy livre un travail d’orfèvre. Elle dentelle une rencontre dont on ne sait rien. La littérature permet cela. En peu de mots, elle imagine une soirée qui rend à chacun son épaisseur et sa solitude, Dora Marr et Paulo compris. On est toujours seul quand on est artiste. Encore plus à côté de Picasso, sa lumière affadit toutes les autres.

 

Géraldine Jeffroy s’est documentée beaucoup et ce qu’elle invente de cette rencontre est “vrai”. D’ailleurs, peu importe, car elle recrée cette soirée dans une langue fiévreuse et habitée ; intense tellement. Ce livre est tout petit mais en fait il est très grand.

 

Mention spéciale aux lettres à Cocteau qui ouvrent et ferment l’ouvrage.

 

Anne-Karen Nancey