Green ressuscite, avec une parfaite intelligence, cette fable endormie.

A Lisbonne, dans la chapelle Santa Maria dos Jeronimos, un homme est sur le point de comprendre les mystères essentiels.

Mais un groupe de touristes fait irruption, et la vérité se perd dans un brouhaha diffus.

 

« Comment chercher le mystère si le monde n’est plus qu’un parc d’attractions ? », s’interroge l’homme.

 

C’est dans l’expression de ce désarroi profond que l’œuvre d’Eugène Green semble paradoxalement s’épanouir, aussi bien dans ses films (« Le Pont des arts », « Toutes les nuits ») que dans la cathédrale littéraire qu’il édifie, livres et films se faisant écho. Désarroi qui s’illustre dans «  Un Conte du Graal » avec un humour revigorant :

 

« Aujourd’hui on ne peut découvrir le mystère ailleurs, car tout est pareil. Il y a des nourritures précipitées à Jérusalem, et Pékin ressemble à la nouvelle York.»

 

Pour être né à New York, Green a renié sa langue et sa patrie d’origine en adoptant le français dès l’enfance.

Passé maître dans cet art de l’anachronisme dont il a fait l’un des moteurs essentiels de son style, il raconte, dans cette adaptation contemporaine de Chrétien de Troyes, le périple initiatique du jeune Perceval dans un monde fabuleux, à la fois contemporain et mythologique.

On y croisera aussi bien Gauvin qu’un punk androgyne aux cheveux teints en vert, un ogre redoutable ou la charmante princesse Tristazur.

Quand son page, Enguerran, se voit confier la mission d’aller apprendre à la reine la nouvelle de la mort de Gauvain, il s’y rend bien sur son destrier alezan, mais en prenant l’autoroute.

 

Multipliant les clins d’œil et les traits savoureux, Green ressuscite, avec une parfaite intelligence, cette fable endormie qui semble n’avoir jamais eu autant de choses à nous dire.

 

Didier Jacob / Le Nouvel Observateur 15 mai 2014