Hors classe. Non sans impatience.

Il n’est pas très éloigné le temps, lambinant, dans un compartiment direction Finistère, où nous lisions L’Atlantique Nord, d’Alexis Gloaguen. Pour le dire franchement, ces pages, éditées alors par l’irremplaçable découvreur Maurice Nadeau, nous prévenaient déjà d’une brassée de plaisirs. Rues de mercure renouvelle nos jubilations.

 

Ces haltes de Gloaguen, New York, Halifax, Boston et Nashville, Ottawa et Washington raviront les amateurs d’équipées, tant il y a de grâces, d’émotions littéraires dans ces hasards urbains gorgés de sons, de toutes musiques. Ainsi de ces Manhattan dans « le soir, la netteté des lumières violette autour des tubes métalliques des échafaudages ».

 

Cinq années, 1997-2002, autant de trouvailles dans les grandes cités d’Amérique du Nord. Poéteux, passez le chemin, le voyageur est écrivain seulement, mais d’un sacré calibre. Celui-ci ne néglige aucune saveur, aucune émotion, aucun « ressenti », comme disent maintenant les profs de philo à France-Culture.

 

Rien ne manque dans cette allée de parc urbain : un pigeon ? « Ou plutôt des pattes de pigeon, rouges comme la vie ». Halifax, « une cigarette allumée sur les provinces atlantiques ». « La ville de Seattle, célèbre pour ses dépressions créatrices, met en garde ses propres junkies contre les dangers d’un voyage à Vancouver »… Partout dans le chaos, sans queue ni tête, des cités américaines, « tout s’enlise, rien n’aboutit, mais des images s’envolent, comme ces hérons des roseaux du New Jersey, frelatés de mercure ». Toronto : « Cet après-midi, comme chaque samedi depuis 1968, Kid Bastien et son groupe jouent leur variété de jazz Dixieland. » Un blues de pavés humides envahit l’Amérique. Le trompette, le trombone et le saxo terminent debout sur les tables.

 

Comme il est juste de varier les continents, voici ce que Gloaguen découvre ailleurs : « Lors de la vente d’un livre, le libraire japonais l’entoure d’une couverture de papier fort, soigneusement plié pour en épouser la forme extérieure. Monsieur Ichikawa me précise que ce n’est pas seulement pour protéger l’objet, par un souci de rigueur aérée que l’on retrouve dans la tenue des gens et de leurs gestes. C’est aussi pour le cas où on prêterait l’ouvrage. Il faudrait alors qu’il soit, pour le lecteur ami, intact, neuf pour le respect, luisant comme l’offrande au nouveau jour. Les égards pour l’autre – car tout bien, toute parole, tout destin circulent au sein d’un groupe et grâce à lui – sont inséparables de la vision collective de ce pays. Le livre, dans son aurore, durera bien plus longtemps qu’une vie humaine et, passé au fil des générations, portera le témoignage de l’âme. »

 


Rue de mercure clôt cette trilogie Gloaguen, entamée par Veuves de verre et Digues de ciel. Grand bouquet de néons pour célébrer, en musique, ces fragments de nos mondes éprouvés par un tel écrivain. Hors classe. Non sans impatience.

 

Alain Dugrand

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