La Fille du sorbier est une vraie réussite.

Critique et écrivain, lui aussi, Daniel Morvan publie chez Diabase son second roman, La Fille du sorbier.

 

La première phrase impose d’emblée une écriture :

 

« Il y avait eu un grand charroi de dalles funéraires, une course de tombes, on avait déménagé Paul pour enfouir Pierre et dans son chaos le cimetière se rapprochait dangereusement du monde des vivants. »

 

Tout le roman est à l’image de cette ouverture : ciselé avec rigueur et virtuosité par un amoureux des mots, de la musique et de la musique des mots.

 

L’histoire est celle d’une rencontre peu probable (un veuf récent, une fraîche veuve se frôlent au bord des tombes interverties de leurs conjoints), et d’une passion faite de désir, d’attente, de rêveries et de SMS, entre Adèle, écrivain surdoué, imprévisible comme une Slave, infidèle et exclusive, et Robinson, qui faillit être pianiste mais n’est qu’accordeur de pianos de concert.

Les figures de Schumann et de Clara, de la poétesse russe Marina Tsvetaieva et de Rilke et Pasternak dessinent dans les volutes du récit des lignes de force obsédantes.

 

 

Ce qui se joue dans ce texte inclassable, c’est la vieille émulation entre écriture et musique : comme Robinson, qui voudrait composer une « tentative d’aggravation dédiée aux infrabasses, une grande rêverie pianistique, un chant inquiet et simple », Daniel Morvan bâtit une vaste fantaisie sur le modèle schumannien, polyphonie sombre et séduisante « à jouer d’un bout à l’autre d’une manière fantasque et passionnée », dans laquelle Adèle est comme le la unique qui hantait la folie de Schumann.

 

 

Se jouant de la chronologie et de la froide logique, glissant le je du narrateur dans des identités multiples, Daniel Morvan se montre « fantasque » mais rigoureux dans son récit caracolant, et « passionné » par le personnage d’Adèle qui est une femme, bien sûr, mais aussi la beauté, la musique, la folie, le charme même.

 

Jusqu’au dénouement teinté d’une ironie mélancolique, le lecteur amoureux lui aussi de cette belle lointaine s’associe aisément aux riches réflexions de l’auteur sur la musique et la passion, à ses paradoxes profonds, à ses évocations de la Vendée, à ses portraits de quatre ravissantes pianistes guère difficiles à reconnaître, à son éloge des poètes, des compositeurs, des filles fleurs et des amoureuses…

 

Très belle surprise de cette « rentrée », La Fille du sorbier est une vraie réussite.

 

Jean-Louis Bailly / Revue 303 avril 2005