La littérature est le ciment de ces lettres

“Sous l’égide de la Poste”**

 

Sur cette chronique, j’aborde pour la première fois le thème de la correspondance. J’ai lu il y a quelques années celle d’Oscar Wilde chez “Gallimard” et j’ai en projet de lecture la correspondance de John Butler Yeats à son fils William Butler Yeats, présentée et choisie par un certain John McGahern.

 

Anne Pollier, dont la famille est originaire de Groix, est la mère de l’écrivain Séverine Auffret.
Un jour à Pont l’Abbé une rencontre : elle, Anne Pollier a 76 ans et est romancière, lui en a 40 ; un de ses livres “Journal d’Irlande” a été primé. Son rêve vivre de sa plume. Il s’en suivra une correspondance de sept ans (1986/1993) résumée dans ce livre.

 

La littérature est le ciment de ces lettres, avec comme question de la part d’Hervé Jaouen comment en vivre ? Pourquoi quitter un emploi sûr dans une banque pour l’aventure littéraire ?

 

Les préoccupations d’Anne Pollier sont de tout autre ordre ; elle est un écrivain reconnu mais qui n’a pas publié depuis des années. Son dernier ouvrage “Reflets dans un canal” est édité en 1986, mais le monde de l’édition lui aussi a changé.

Anne Pollier déclare avoir détruit des nouvelles qu’un éditeur avait refusées, ce qui scandalise Hervé Jaouen.
Les livres en cours d’écriture sont aussi au coeur des préoccupations d’Hervé Jaouen ainsi que les émissions littéraires où il est invité.

 

Les petits potins sur les maisons d’édition, la gentillesse des uns, l’affairisme des autres. Les projets cinématographiques d’Hervé Jaouen sont également des sujets d’échanges d’idées.
Les voyages qui rendent la vie plus agréable ou pour la rendre seulement vivable, les aventures du dernier fils d’Anne, sorte de Kerouac des temps modernes.

 

Hervé Jaouen rend hommage au plus grand écrivain irlandais de la deuxième moitié du vingtième siècle, John Mc Gahern (du moins à mon goût) en disant :

– J’ai lu quelque bons livres, ces temps-ci. Notamment deux John McGahern, un Irlandais. Deux romans épouvantablement noirs… mais superbes.

Ou encore :

– Je vous conseille son dernier recueil de nouvelles (Haute-terre, Presse de la Renaissance).

Un hommage aussi, à l’ami; discrètement en passant :

– C’est un Breton travaillant à Paris, dans la même banque que moi. Il s’appelle Jean-Yves Boivin.

 

Une correspondance entre deux grands écrivains ne peut être que bien écrite, mais ici on sent une estime réciproque qui au fil du temps devient de la complicité.
Partant du domaine général, des réunions de “l’Association des écrivains bretons”, les deux auteurs, ensuite, évoquent leurs familles, leurs projets. Ils parlent des joies et des peines qui parsèment la vie de tout un chacun. Nous suivons la progression de la carrière d’Hervé Jaouen, mais en parallèle Anne Pollier nous parle avec beaucoup de retenue et également un humour combatif de la dégradation de sa santé.
Une anecdote à peine croyable, cet homme qui se suicide et demande à être enterré avec entre les mains, à la place du traditionnel chapelet, un exemplaire de “Journal d’Irlande” d’Hervé Jaouen ! J’avais une certaine appréhension en commençant ce livre, une espèce de pudeur d’entrer comme cela dans la vie des gens, mais cela a vite disparu.

 

J’ai trouvé dans ce genre littéraire un exercice difficile, surtout dans ce cas précis où il y aurait tant à lire et à dire.
Le très grand mérite de ce livre, c’est pour moi la découverte d’Anne Pollier.

 

Extraits :
– H.J: L’écriture et la vie sont deux choses qu’il ne faut pas mélanger.
– H.J: Et puis elle pêchait par modestie dans ce milieu où paie plutôt la vanité.
– A.P: Peine d’ailleurs supportable : Groix change, je change moi même.
– A.P: Quel plaisir de vous avoir aperçu hier à “Apostrophe”.
– H.J: Comme vous vous en doutez, “Apostrophe” est une terrible épreuve dont je me remets à peine.
– A.P: Je suis l’ombre de quelqu’un d’autre : une femme plus âgée que moi et encore plus exténuée qui s’est introduite dans ma peau.
– H.J: C’est la mode : les groupes industriels se payent des maisons d’éditions, comme au XIXème les grands bourgeois se payaient des danseuses.
– A.P: Il m’est pénible, évidement, de constater ma solitude littéraire et le peu de “réponse” à ce que j’écris.
– H.J: Aucun espoir pour le Goncourt. Cette année les jeux sont faits encore plus que d’habitude.
– A.P: Les nouvelles sont de petits graines que ma seule ambition serait encore de mettre en chapelets.
– H.J: Face à la femme, à ses mystères, le marin ne serait-il pas un homme en fuite?
– A.P: Ne pouvant même pas traverser la rue et à nouveau seule, je ne sais quand ceci partira.

 

Yvon Eireann

http://eireann561.canalblog.com/

 

*J’espère qu’Hervé JAOUEN et Jean-Yves BOIVIN me pardonneront de mettre Anne POLLIER en haut de l’affiche, elle le mérite bien.
** Phrase extraite de la préface d’Hervé Jaouen.