La poésie d’Yves Elléouët dessine un univers onirique fait de sensualité et de souffle

Yves Elléouët fut un créateur solitaire et peu soucieux de sa renommée.

Peintre et poète, le gendre d’André Breton disparut trop tôt, en 1975, à l’âge de quarante-trois ans.

Son œuvre poétique éditée était épuisée. Ses poèmes, moins connus que ses récits, Falc’hun, préfacé par Michel Leiris, et Le Livre des rois de Bretagne sont aujourd’hui publiés par les éditions Diabase, en même temps que certaines de ses lettres avec André Breton, Michel Leiris, Pêr-Jakez Heliaz (Pierre-Jakez Hélias), Xavier Grall, Georges Perros, et des lettres d’Aube, son épouse.

 

Le titre joue de l’ambiguïté : avec l’indéfini « un pays », le lecteur se sent déjà chez lui, au pays de toutes les enfances. Et pourtant, c’est un paysage mental qui émerge, nettement dessiné. Un pays de collines, de bruyères, de vent. La mer toujours en mouvement, le vent du chemin, les « marées mariées au ponant », les fermes couvertes d’ardoises, l’ossuaire de granit où dansent les morts, des cafés tenus par de vieilles femmes, les promontoires « bercés de vide ». C’est la Bretagne. Un pays de pluie et de nuit, au chromatisme noir, blanc, rouge, vert. Les noms de lieux-dits, tels Pencran, Guimiliau, ceux des légendes, tels Tintagel, la Dame blanche, le laissent assez deviner. Et Yves Elléouët le déclare : « Je suis d’Armorique cette péninsule barbare ». Nous sommes en Bretagne, haute terre celtique reliée à l’Irlande et à James Joyce autant qu’au poète gallois Dylan Thomas à qui il consacre un poème.

 

Et, dans le même temps, nous sommes dépossédés de nos habituelles représentations de ce pays breton. Car Yves Elléouët récuse l’entre-soi régionaliste. Il faut accepter de se laisser gagner par un imaginaire plus vaste, celui de Joan Miró et d’Yves Tanguy. Celui de l’inspiration surréaliste qui est la sienne et qui joue d’étranges collages :

 

« Dans le jardin aux fleurs vénéneuses

il y a une statue

tout près du bassin de mercure

Une guirlande de mains y pavoise

la nuit — de l’étrave à l’étambot

d’un navire où sèchent des cheveux ».

 

Plus loin, une danse des morts habite tout un poème dans un élan ample, halluciné, intemporel. Visions surréelles de champs de bataille de la Grande Guerre ou rappel de François Villon ? Mais la mélancolie et l’humour se mêlent aussi comme dans un rêve échappé d’entre les moments opaques du sommeil. Dans la lignée du surréalisme, les images prennent parfois un aspect fulgurant :

 

« la baïonnette s’est brisée

près de l’oreiller

dans l’oreille de la fumée

qui passe et repasse ».

 

La parole du vieux barde Taliensin qu’il évoque dans Le Livre des rois de Bretagne prend ici tout son sens : « J’ai été sous une multitude de formes ». Les choses, les êtres, la femme aimée tracent des lignes de fuite, sont en métamorphose, dans la perception continue de la mort. Le poète est celui qui, tel un magicien, commande aux éléments :

 

« L’air des falaises habitait ton visage

Et ton corps avait des avancées de proues

Les seins fermes des soleils d’été

Tes yeux où tournoyaient des arbres ».

 

La poésie d’Yves Elléouët dessine un univers onirique fait de sensualité et de souffle où tout se pluralise dans le jeu de l’analogie :

 

« J’y fus oiseau jadis

Ma langue s’en souvient ».

 

Il faut lire cette poésie âpre et rude, témoin d’un tumulte du dedans qui prend son rythme pour y nourrir ses ivresses.

 

La seconde partie du livre est consacrée à un choix de lettres d’Yves Elléouët et de son épouse. Une trentaine. Aube Breton Elléouët en a confié la reproduction aux éditions Diabase avec le soutien du fonds Jacques Doucet. Certaines d’entre elles ont été publiées chez Gallimard en l’an 2009 dans les Lettres à Aube.

Ces lettres donnent une autre image de l’artiste, témoignent en particulier du lien affectif et intellectuel qui le liait à André Breton. Il est touchant de le voir lui adresser une première lettre pleine d’admiration. Ou bien écrire à Michel Leiris en parlant de La Règle du jeu et de l’ancien appartement d’André Breton avant-guerre, rue de la Fontaine, qu’il habite à l’époque avec Aube. On s’amuse de voir l’auteur de Nadja, dans une des lettres personnelles à Yves Elléouët, mentionner la venue de Léo et Madeleine Ferré dans sa maison d’été de Saint-Cirq-Lapopie.

 

La lettre de Michel Leiris adressée à Aube Elléouët après la mort d’Yves, à la suite d’un premier refus des éditions Gallimard du manuscrit de Falc’hun, est aussi éclairante : l’auteur de Biffures y mentionne l’entremise de Claude Roy, lui-même lecteur chez Gallimard. Ce livre sera finalement publié de façon posthume dans la collection Blanche de cette maison. On trouve aussi une belle lettre de Xavier Grall à Aube, après la mort de l’artiste, qui parle de « ce grand destin foudroyé ». Et une émouvante lettre de Julien Gracq à Aube qui dit sa tristesse et voit dans ce livre « un testament poétique de grand poids ».

 

Il faut saluer ce travail de publication d’Yves Bescond et de Cypris Kophidès qui fait entendre une parole qui résonne au plus profond du temps.

 

Marie-Hélène Prouteau

pour Terres de femmes

https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2020/07/yves-ell%C3%A9ou%C3%ABt-dans-un-pays-de-lointaine-m%C3%A9moire-par-marie-h%C3%A9l%C3%A8ne-prouteau.html