L’appel vibrant du titre donne la tonalité ardente, insoumise, de ce livre étonnant.

L’appel vibrant du titre donne la tonalité ardente, insoumise, de ce livre étonnant.

Écrit dans une prose souple, rythmée par les reprises, les modulations, les assonances, subtilement articulée, portée par le souffle et le songe, la scansion incantatoire. D’un lyrisme alliant la vigueur et la grâce, la sensualité et l’intelligence, le foisonnement et l’harmonie.

 

En trois volets, c’est une traversée intérieure débouchant peu à peu sur la volonté de réveiller les consciences, à commencer par la sienne. La première séquence médite sur le présent, fuyant, multiforme, extensible, tendu, brouillé, bref insaisissable.

Des métaphores inventives affluent pour le saisir, car on peut aussi penser par images.

 

Déjà s’opposent le présent stérile de l’époque « qui ne se connaît plus comme expérience », et l’instant qui s’ouvre soudain à l’infime comme à la réflexion, « la soie du pavot, le noir intense de son cœur », ou « la désunion de la matière et de l’esprit ».

L’évocation de « nos yeux bouchés », « le lent poison de la fausse parole », la dérive du manque d’espoir, évoquent un présent en perte de sens, proche du « point de rupture », où l’on n’est plus qu’une ombre.

Alors « une colère grande comme la nuit me saisit parfois », annonce le réveil à venir.

 

Mais il faut assumer sinon guérir le passé, les blessures, les échecs, les désillusions, « la fin d’un accord de chair », avant de pouvoir affirmer : « il y aura, je le sais, un autre commencement ».

Et de lancer à chacun : « Réveillez les consciences. Nourrissez l’esprit. Nourrissez la terre ».

Traverser cette épreuve où l’on se sent séparé de tout, où « le chagrin prend la courbure de la terre ». Où s’épuise la lutte « contre l’invasion du grand Rien ».

 

Comme en révélation soudaine, renversement de perspective, une danse ouvre le troisième mouvement, soulevé par une houle de vie renaissante, portée par l’essor, l’envol, la révolte.

S’ouvrant à l’éveil, à la rue, à la vie plus vaste, à l’altérité, au champ des possibles, à la « portance » de l’utopie.

Car il s’agit pour tous de « tenir tête à la débâcle », retrouver le fil de l’histoire, « sauter à l’indicatif de l’action ». S’élève alors l’hymne à l’invention qui « revient en force neuve », de cette « émergence que rien ne peut endiguer ».

 

Sans rien occulter de nos questions, contradictions, déchirures, pesanteurs et contagions de l’atone, Eve Lerner est de ces rares poètes qui en appellent avec ardeur et beauté à changer de vie et de monde.

 

Revue TEXTURE  / Jacqueline Saint-Jean – 27 janvier 2018