Nous vivons est l’histoire d’un choc, de ce moment de bascule qui oblige à reconsidérer la route.
Lydie Arickx est peintre et sculpteur. Elle prépare une grande exposition. Un jour que, les pieds dans l’eau, elle s’emploie à éliminer la jussie qui envahit des berges, son corps est comme aspiré en avant, elle tombe. Rencontres de médecins et résultats d’examen : nécessité d’une délicate opération près du cerveau.
C’est cet espace de six mois conjugué au futur incertain dont Lydie Arickx prend possession.
« Il faudrait bouger, sortir de là, peindre en courant, écrire les flots qui m’emportent, mais j’ai mis toutes mes forces dans le gouffre des heures. Il ne me reste qu’à aimer par-dessus tout. Elle est vertigineuse la vie parfois ».
Elle se tient à chaque instant toute proche de cette rafale d’émotions et de sentiments qui la traversent, la peur, l’angoisse, l’espoir, le chagrin, l’attente, la beauté, la création. Accueille le retour d’une douleur d’enfance, recueille le baume d’un rêve étrange et consolateur. Confie « Certains lorsqu’ils souffrent désirent tout assumer tout seuls, moi j’aime n’être pas grand-chose sans l’autre ». Reconnaît que « Par chance ce métier d’artiste est un apprentissage au vertige. À force de tomber, de provoquer le vide, on finit par l’apprivoiser ».
L’artiste conserve cette posture de haute voltige entre le dedans et le dehors.
Elle garde l’œil ouvert, observe la tempête, parfois du cœur même du cyclone.
Elle note les débordements mais ne s’y abandonne pas, se bat dans la froideur d’un milieu hospitalier pas toujours hospitalier, mais reçoit aussi la chaleur d’une écoute attentionnée.
Travaille à rester juste. À l’écoute de ses sensations, de cette vie qui se condense et s’intensifie, l’essentiel se détache : « S’aventurer à vieillir, à s’user, à se préparer à l’oubli, mais nous vivons. »
Oui, « nous » car ce passage s’écrit à deux, elle et son compagnon, elle et ses fils. Présence aimante jamais lointaine. Ce récit est aussi une histoire d’amour.
Une telle traversée réserve des surprises. L’une d’elles, pour Lydie Arickx, plasticienne, est une nouvelle posture du corps : « L’écriture m’a prise par la main et m’a accompagnée… ».
À côté des traits des dessins, de la vibration des couleurs, les mots soutiennent avec leurs sonorités, leurs capacités propres de délivrer, de faire image.
Pari réussi que ce partage de l’intensité d’un vertige.
Cypris Kophidès