Les eaux froissées de Sophie Tessier sont celles de la Loire. Elle a côtoyé le grand fleuve sauvage au cours d’une résidence d’écriture à la Maison Julien-Gracq à Saint-Florent-le-Vieil. Elle tire de cette riche expérience un petit livre en prose poétique. On y découvre une autrice (elle est native de Rennes et vit près de Combourg) qui soulève finement les enjeux de la crise écologique mais qui, surtout, part à la recherche d’elle-même à l’écoute du fleuve.

Qui parle dans ce livre ? Est-ce la Loire ? Mais n’est-ce pas plutôt Sophie Tessier ? « Si je pouvais, je brandirais d’autres couleurs, mieux assorties à ma colère », écrit la poétesse parlant de la Loire, mais on ne peut s’empêcher d’y voir ainsi révélées ses propres colères. Dans une dense préface, l’écrivain breton Alexis Gloaguen souligne à juste titre l’habileté de ce témoignage à double visage. « La Loire et l’écrivaine se présentent l’une à l’autre, écrit-il, mêlant comme en miroir ce qu’elles transportent dans un flux de molécules et de pensées ».
D’un côté une femme qui questionne la Loire et se questionne elle-même. De l’autre un fleuve que n’épargnent pas tous ces phénomènes actuels de pollution, avec ce « risque prochain de ne plus arborer qu’une généalogie de reflets morts », écrit Sophie Tessier. Aussi entend-elle la Loire lui faire cette confidence (à moins qu’elle ne parle d’elle-même) : « Aux grandes chaleurs qui piétinent le monde, je survis comme d’autres en me recroquevillant ». Les grandes chaleurs, donc, mais aussi les inondations, les déchets de toutes sortes (« sous la dorure des plages … les relents de vos pacotilles »), ou encore ces plantes invasives que l’exotisme (« sa fleur contagieuse ») a installé dans les eaux du fleuve.
« A l’orée du désastre »

Mais Sophie Tessier n’est pas ici pour rédiger un savant traité d’écologie appliquée. Tout juste un « testament pour la planète » encore à l’état de « brouillon » mais où, en quelques phrases percutantes, elle pointe du doigt les dérives contemporaines. « Se creuse un lit de mort dans la ruine des fleuves », note-t-elle. « L’air s’est universellement tendu d’un dais plus noir ». Elle nous voit même « à l’orée du désastre ». A chacune de ses phrases, on ne peut s’empêcher de lire en transparence les propres troubles de l’autrice. « Les marques d’impatience qui meurtrissent vos jours se cicatrisent mal ». Une Loire blessée ? Sans doute. Une femme blessée ? Sûrement. « Le fleuve est toujours ce que l’on rejoint pour s’ouvrir à soi-même », confirme Alexis Gloaguen.
Malgré ses « fêlures », Sophie Tessier ne veut pas pour autant noircir le tableau. Il y a des issues de secours. La nature est là qui nous invite à la rejoindre. Ainsi cette « lévitation de libellules bleues » ou encore l’offrande de « la tige glabre de la renoncule ». Plus loin, c’est la vision d’un martin-pêcheur qui a « plongé son feu turquoise dans l’obscur ». Et, enfin, cette révélation plus qu’apaisante : « Dans le giron d’un arbre, un enfant lit ».
Pierre TANGUY
Bretagne Actuelle.com
23/09/2025