Le Mahu de Bruno Edmond ne se préoccupe pas plus de vertus que de vices.
Il savait sans doute que deux et deux faisaient quatre avant qu’on ne cherche même à le penser mais il ne s’en soucie guère car il a mieux à faire Dépendeur de pendu, il a conscience que la vie est éphémère et que c’est là une vérité (la seule peut-être) éternelle. Il retient la lumière tel un Saint François d’Assise privé de foi et de repère et dévoré par les animaux. Son énergie est celle du vide assumé comme tel. Elle est pour lui l’espionne agissante du réel mais elle ne poursuit aucun absolu d’autant que lorsqu’on court après il galope.
Mahu rampe comme un reptile, vole comme un oiseau. Mais avant tout Mahu marche. A sa façon et à l’opposé de tous ceux qui cultivent l’indignation purement verbale. Face à ces parfaits clones de la résignation et du pessimisme, il opte pour un optimisme particulier et qui s’ignore. Une tel anti-héros ne fonde rien. Ni le statut de la fiction, ni la source énonciative, ni un sens. Sa fonction consiste même à détruire l’instauration d’une origine et d’une intention. Il n génère donc que de l’incompréhensible. Chez Pinget un autre Mahu (son homonyme) se faisait parfois énonciateur mais il n’est ici qu’objet de la narration. Un “objet” d’un genre détraqué, raté, flou, « border-line ». C’est ce qui fait son charme, sa qualité intrinsèque.
L’écriture devient la marge de ce marginal. Si bien que l’éclatement de la logique de la fiction introduit la ” folie du genre “.
Chez Edmond, la parole plus que le réel devient l’objet de la représentation.
Preuve que l’auteur n’écrit pas par plaisir mais seulement pour inventer la fable du monde autour d’un langage capable de comprendre son personnage.
Au ” J’écris pour me parcourir ” de Michaux, l’auteur répond en écrivant un monde subjectif, désorganisé, balbutiant émerveillé, bouleversé, primaire, animal où se perd le chemin de l’homme qui marche.
Le clone de celui de Giaccometti devient l’être sauvage au drame inexpliqué et métamorphosé par l’affolement de la fonction fabulatrice.
Sa résistance au réel, au givre, au minéral, au vent demeure patente.
L’ange redevenu bête fouille et exhume la vacuité de l’être en prouvant la force de se taire.
Mais ici le silence fait du bruit.
jean-paul gavard-perret / http://www.lelitteraire.com/?p=10657 – 26.03.2014