Mahu le Magnifique

Je viens de lire «Mahu». Il est assez difficile à lire car il a quelque part la dureté du rêve qui vient de nous abandonner et nous laisse dans un état opaque.

 

C’est un texte très beau, ouvert et paradoxal, brutal et tendre, mythique et comique.

S’il est ouvert c’est parce qu’il n’y a pas selon Bruno Edmond de sujet bien défini, univoque – pas de sujet dans une seule catégorie.

Mahu se disloque en une pluralité de sujets.

Mahu n’est pas un personnage de roman. Sinon il parlerait, d’une manière ou d’une autre.

Mais il ne parle pas, il crie : c’est un crie qui tue. Et là agit une rémanence formidable de cette force comique.

Mahu ne s’intéresse pas au langage mais il est attentif à la disposition qui serait comme un pré-langage.

Les grands textes «parlent» de ces longues hésitations, d’être sur le seuil, à la frontière ou avant que se précise un ordre – social ou langagier.

Mahu est l’habillé multiple, comme nous le sommes. Des sujets qui se juxtaposent ou se superposent, des sédiments. Chacun de nous est proprement là, c’est-à-dire ailleurs.

 

C’est je crois le sens que l’auteur donne à ce mot mallarméen de Vacuités, ce mot qui revient dans ses textes, comme un non lieu. La personne humaine – individu mondial – rêve sans doute de Babel comme elle rêve d’un sujet unifié, tout un.

Ce que réussit l’écriture de Bruno Edmond, c’est la mise à distance.

On s’éloigne un temps de Mahu pour aller vagabonder ailleurs mais on a l’impression que Mahu continue son chemin.

L’errance est le non-chemin.

On peut toujours cheminer d’une catégorie à l’autre, d’une route à un sentier par exemple pour constituer un langage, il n’empêche que l’errance est précisément un état qui n’a ni début ni fin et qui ne peut être mis à demeure.

L’action brute se fiche pas mal des catégories et des classes. Mahu semble avoir un quelque chose en plus que l’auteur : il a déjà renoncé au langage, il s’en est écarté comme il s’est écarté des hommes. Les actions de Mahu sont des dispositions.

 

Mais le langage dans toutes ses apparitions permet de fixer l’indicible.

Travail de la poésie, en quelque sorte. L’apparition de la conscience, fût-elle celle d’une plante, se réalise à travers toutes formes de langages.

 

Le sujet quand il écrit, l’auteur, se révèle à lui même disloqué.

A la fois Mahu et arbre, ténia, anachorète ou Nietzche et jusqu’au Cheval, embrassé par N. Dans le rythme, l’écriture de Bruno Edmond montre l’effet redoutable du langage entre inventaire (fou, libre, parataxique) et typologie.

 

Gilles CUOMO