On se laisse envoûter et régénérer par le brassage de cette langue

Lu cette nuit la fin de Varech de Sophie Tessier, cette jeune romancière d’une quarantaine d’années qui publie un premier roman remarquable aux Editions Diabase.

 

L’immersion dans une langue à la fois précise et infiniment poétique, un vocabulaire qui pourrait devenir précieux si Sophie Tessier n’avait cette capacité à former des mots neufs qui donnent à voir, à entendre, à toucher et à goûter, à changer de registre avec aisance selon les personnages.

Une langue au lyrisme cosmique à la lisière de ces laisses de mer et de terres désertées par les habitants à cause d’une menace imprécise d’inondation.

 

Trois personnes ont choisi de rester vivre dans un temps en apnée, au rythme des marées et des saisons dans cette « île » à peine reliée au reste du monde, devenu un mirage perdu dans les nuées charriées par les cieux changeants : Antelme, un ancien prêtre passionné de l’œuvre de l’empereur romain et philosophe stoïcien Marc Aurèle qu’il lit en latin (des citations justes comme de petits cailloux blancs semés au fil du récit), qui protège Gaspard, un jeune adolescent un peu étrange logeant dans sa maison, un chat énigmatique et clairvoyant, et enfin Le Chantôme, un ancien marin qui a coulé son bateau.

Ce dernier ne peut oublier une femme extraordinairement belle, Maria, ils se sont aimés, la jeune femme s’est noyée juste avant leur mariage, on n’a jamais retrouvé son corps.

Tandis qu’Antelme commence à sculpter une femme qui lui ressemble, Le Chantôme découvre sur la plage le cadavre de Maria, dont le dos est couvert d’une nageoire de sirène. Apparaît à ce moment un autre personnage, à la fluidité fantomale, le saltimbanque-colporteur, Morgan, frère de Maria.

 

On se laisse envoûter et régénérer par le brassage de cette langue qui nous immerge dans une sorte de paradis marin des origines, halé à la senne sur la côte, où les roches, la mer, la terre et le ciel, les oiseaux, les animaux et les hommes, les objets de leurs maisons ou de leurs ateliers non seulement vivent en secrète entente mais concrétisent le rêve de L’invitation au voyage de Baudelaire :

 

« Tout y parlerait/A l’âme en secret/ Sa douce langue natale. »

Heureux celui qui « comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes. »

Elévation.

 

On est ému par la force du lien qui unit ces marginaux de la côte, vivant de peu, prenant le temps d’approfondir une sagesse simple, proches cousins des paysans de Giono : ils vivent en harmonie avec un monde qu’il serait urgent de faire resurgir…

 

« L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel. »

André Breton