Rues de Mercure, œuvre majeure par sa vérité et sa poésie, évoque des paysages de l’esprit, forgés de mystère, ouvrant sur la révélation.

Rues de Mercure, dernier ouvrage d’Alexis Gloaguen, évoque certaines grandes villes des États-Unis, du Canada et la capitale du Japon, Tokyo.

 

Les rues sont des « coulures », « la foule s’écoule », les voitures « nageaient en poissons d’argent », comme si elles étaient de mercure, dit vif-argent, seul métal liquide, associé aussi bien aux effluves mortels qu’à l’or, et suggérant la polyvalence du dieu éponyme, la symbolique de la lointaine planète.

 

Il s’agit, par la poésie, d’allumer l’apparente inconsistance ou innocence de la réalité, d’évoquer ce que l’obscurité âprement dévoile.

On pourrait reprendre à Dylan Thomas le premier vers d’un de ses poèmes : « N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit » (« Do not go gentle in that good night »).

 

La ville se définit par la folie, le désespoir, « le tutoiement du noir total », mais aussi par le vol de ses oiseaux, la comète qu’elle révèle, ses reflets, ses fumées, sa musique, c’est-à-dire par l’inaccessible et l’impalpable.

 

L’écriture ne cherche pas à être claire, elle peut se contenter de « l’étrange érotisme des paroles incomprises ».

Il arrive que les messages se présentent à l’envers, s’occultent tout en se disant ; leur ambivalence leur est intrinsèque, comme cet appel-adieu à certain ami peut-être mort. Elle fuit le mensonge du conventionnel, assène l’illogisme du vrai, à travers l’oxymore, « délice de désespoir » ou le paradoxe : « La joie sort de l’alchimie des peines ».

Tout en s’éloignant des formes traditionnelles, elle se veut rythme, enclôt l’alexandrin : « La lumière est le lieu où les êtres s’éveillent », frôle le haïku : « Dans la lumière des villes traînent des aurores qui font traverser la nuit ». Le fado, le blues, l’éclat de la bière, joignent l’exaltation à la désolation, la jouissance à la douleur, la folie au dévoilement.

 

L’écriture n’est pas seulement moyen d’approche, réflexion sur ses propres pouvoirs. Elle est la vie, consubstantielle de celui qui écrit, tout en dépassant l’ego et le trivial.

C’est le poète qui le dit : « …le choix de la discrétion brouille les cartes, mais sonde au plus profond. Qui se soucie des identités, quand l’ombre d’une expérience joint l’universel, enveloppe la tragédie et conduit au sacré ? ».

Inscrivant cercles ou multiples volutes, les formes rappellent le quadrilatère, qui peut se muer en carré, où comme l’écrit Guillevic : « Chacun de tes côtés/ S’admire dans les autres ». Les parcs, les bars, les miroirs, les feuilles blanches, mandala à leur façon, emportent là où obscurité et clarté se fondent dans l’extase.

 

Rues de Mercure, œuvre majeure par sa vérité et sa poésie, évoque des paysages de l’esprit, forgés de mystère, ouvrant sur la révélation.

 

Michelle Labbé (pour l’Association des Écrivains Bretons)