Trois expériences de vie

Sous le titre laconique et énigmatique Surgies, l’auteur breton Alexis Gloaguen raconte trois expériences de vie menées, pour deux d’entre elles, en résidence d’écrivain.

 

La première auprès de comédiens et d’artistes dans le pays de Dinan, l’autre auprès des occupants des Jardins Solidaires de Morlaix. Le troisième texte du livre évoque un lieu de mémoire, celui de la Résistance bretonne à Langoëlan dans le Centre-Bretagne. Trois espaces, trois expériences que l’écriture poétique d’Alexis Gloaguen transfigure. Sous sa plume, ils deviennent des lieux de révélation. Des « surgies » en quelque sorte.

 

Alexis Gloaguen s’emploie, comme il le dit lui-même, à noter « les surgies provenant d’un monde qui, dans certains cas, se passerait bien de nous ». Il parle aussi de « la surgie des évidences hors du terreau des jours » ou encore de la « surgie des plantes » quand « à travers les phrases nées du jardin, on redevient habitant ». Dans ces Jardins Solidaires de Morlaix, l’écrivain va, en effet, se mettre en état d’accueillir ces « surgies » que Gustave Roud appelait des « signes »« La poésie, disait le poète suisse, m’a toujours semblé être une quête de signes au cœur d’un monde qui ne demande qu’à répondre, interrogé, il est vrai, selon une certaine intonation de voix » (Air de la solitude, éditions l’âge d’homme) Il y a chez Gloaguen comme chez Roud cette quête inlassable de signes.

 

Le lieu de résidence de l’auteur breton à Morlaix sera un vieux camion d’où  il regardera avec tendresse un peuple s’ébrouer au milieu des planches de légumes, des massifs de fleurs ou des arbres fruitiers. « Ainsi, écrit-il, on vit des signes que l’on arrange autour de soi, des recherches de chaleur qui nous redressent dans la douleur du froid ». Car, ajoute-t-il, « le jardin est un atterrissage pour ceux qui ont perdu les images-radar de leur vie ». Ils et elles s’appellent Brigitte (« qui coupe l’herbe au couteau »), Nicole, Jean-Paul, Alain (« le pourvoyeur d’eau »), Esma et Ujesin, Régis et tant d’autres. Alexis, parfois, devient l’un des leurs, et met lui-même la main à la pâte. Ainsi aide-t-il Brigitte « à lier des fèves autour d’un grillage pour ménager une ascension vers la course du soleil ». L’écrivain en tire des leçons de sagesse. « C’est en chérissant le futile qu’on découvre l’essentiel ». Il cite Epicure pour qui « le jardin n’était pas une fuite, mais un lieu d’où revoir les choses ».

 

« Une formidable leçon d’humilité »

 

Dans le pays de Dinan, la résidence d’écrivain donnait moins l’occasion de toucher terre. C’est avant tout, pour Alexis Gloaguen, une découverte du monde du théâtre (« une révélation et un virage décisif ») et, sur les pas d’un photographe, l’opportunité de rencontres et de « moments forts du quotidien ». Il avoue même que ce fut là « une formidable leçon d’humilité » qui lui a permis de « sortir du splendide isolement de l’écrivain » et même d’affronter « un moment de déconstruction » qui le « fragilisera » un temps. « Je mesure, avoue-t-il, mon inadaptation à la vie en groupe et à la baisse de sollicitude que cela entraîne ». Bel exercice d’introspection sur la place et le rôle de l’écrivain, y compris au sein même du monde artistique.

 

Le troisième texte de ce livre est d’une autre nature dans son évocation du Maquis Breton et du combat de Kergoët, le 1er juillet 1944. Alexis Gloaguen parle ici d’un lieu emblématique de la Résistance bretonne situé à proximité de son propre lieu de résidence. L’auteur place l’évocation de ce lieu sous le signe du célèbre hymne Bella ciao des Partisans italiens. « Il y a, dans l’alliance de la jeunesse et des situations désespérées, une raison d’idéaliser l’amour », écrit-il sans imaginer que, quelques mois après avoir écrit ces mots, Bella ciao deviendrait le chant de ralliement des femmes iraniennes en lutte pour leur émancipation et leur liberté.

 

Pierre TANGUY

BRETAGNE ACTUELLE 17/01/2023