Un appel magnifique à une remise en question de nos certitudes

Bluma Finkelstein, Israélienne et partisane du dialogue juifs-chrétiens-musulmans

 

ÇA MARCHE – La poétesse et essayiste roumano-israélienne d’expression française, Bluma Finkelstein, signe avec Les Pélerins de Samarkande  son premier roman.

 

Fuyant Ceaușescu dans les années 1970, elle arriva en Israël où elle passa sa thèse de lettres françaises avant d’enseigner de nombreuses années. Elle fut aussi chargée de la culture à la mairie de Haïfa. Son œuvre poétique se compose d’une vingtaine de volumes, voire davantage.

 

Ce roman qui se situe vers le milieu du XIXe siècle met en scène deux personnages, Fernando de Cordoue, marchand d’étoffes et, Cristiano de Santa Fe, juifs espagnols dont les ancêtres durent se convertirent au XVe siècle, deux amis inséparables, partis pour Samarcande.

 

Personne n’a encore salué ce livre et j’y vois une injustice. Tous nous parlons avec tant de raison des crimes de l’EI (arabe : الدولة الاسلامية في العراق والشام, ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām), des massacres et des exils de ces chrétiens d’Orient fuyant par milliers la Syrie, l’Irak, quand d’autres boycottent Israël mais, qui parlent de celles, de ceux, qui partout dans le monde jusque parmi les Israéliens juifs ou non, construisent avec leurs mains nues la paix, le dialogue entre tant de frères et sœurs ennemis?

 

Au cœur de ce livre : la foi, le doute, le Messie, mais aussi la fraternité, les disputations, la nourriture, tout ce qui fait la vie de ces personnages attachants entre tous, car nous sommes tour à tour l’athée, le marrane, l’arabo-musulman, le juif religieux ou libéral, le chrétien, la femme ou l’homme, réfutant et s’opposant ce que dit l’autre, parce qu’il est l’autre et donc autre. Que nul ne se dise : je ne me vois que dans un seul de ces personnages.

 

Ce serait trop facile, trop manichéen. La force du roman, de la romancière sur une réalité politico-religieuse si infiniment complexe, fut d’opter pour l’humour. Les personnages de cette saga sont le père Pablo, l’Italien Giovanno, Josèphe, Ahmet, Mehmet et d’autres encore mais aussi l’apparition d’Isabella ou de Giordano Bruno. Au centre du récit nous trouvons ces lieux magistraux que sont Jérusalem, Damas, Palmyre, Samarcande, le désert.

 

Bluma Finkelstein, sur un mode humoristique, parfois sarcastique, aborde les questions capitales. Manuel aborde avec le père Pablo la question de l’athéisme, voire de l’agnosticisme :

 

– Je ne suis pas athée, mon père, je suis agnostique. Giordano Bruno n’était pas athée non plus. Comment pourrait-on l’être puisque cela supposerait la connaissance d’une existence ou inexistence d’un Dieu ? […] Comment peut-on parler de ce qu’on ne connaît pas ? Comment peut-on croire en une idée inventée par les hommes ?
– Tu blasphèmes, répliqua le curé…
– Mais non, mon père, si je suis agnostique, je ne nie ni n’approuve l’existence de Dieu, tout simplement je n’en sais rien. (p. 42)

 

RELIGIONS – Les passages théologiques, historiques, explorés par Bluma Finkelstein, sont constitutifs d’un questionnement qui traverse la question posée, autant que d’une histoire millénaire qui transcende notre commun présent. Notre romancière pose finalement la question des trois grandes religions de l’amour de Dieu et de l’amour de l’homme et à l’intérieur de chacune, la question du messie espéré ou non, dans sa confrontation avec un messie déjà venu.

 

Ce pèlerinage, selon Bluma Finkelstein comme selon le lecteur, est tout entier l’histoire d’une promesse, c’est-à-dire de trois promesses consécutives qui sont autant de promesse de la promesse. Mais toute “l’histoire sainte” et toute la Torah et tout le Nouveau Testament et tout le Coran le sont : promesse ou promesse de la promesse.

 

A travers son pèlerinage à Samarcande, cette grande dame des lettres franco-israéliennes réussit avec force à donner un sens nouveau à la Promesse, aux promesses et ses sens nouveaux passent infiniment la promesse première, eût dit Pascal. Une longue marche entre commerçants, entre mystiques et libres penseurs, devient une terre d’échanges, un champ où les promesses des uns se jugent à l’aune de ce qu’elles ont coûté aux autres. Et si l’on devait en effet ne juger les promesses des religions dites révélées qu’à l’aune de ce que chacune, au nom de la sienne, a fait endurer aux autres, on prendrait en compte la part d’aléatoire, de négatif, de précaire, de chaque promesse.

 

L’histoire de ce pèlerinage narrée par Bluma Finkelstein est un appel magnifique à une remise en question de nos certitudes religieuses ou idéologiques, pour accepter l’autre dans sa différence radicale mais aussi dans son altérité fondamentale qui est une part de la sienne propre.

 

Mais cela, seuls les hommes et les femmes de bonne volonté l’entendent.

 

HUFFINGTON POST : 08/07/2015 / 11h12