C’est une étrange histoire à la manière des drames maritimes de Victor Hugo.
Sur une île qui évoque Ouessant, trois personnages vivent dans une brèche temporelle, depuis que Maria, femme à la beauté fabuleuse s’est noyée avant son mariage.
Et voici que, trente ans après, son corps réapparaît :
« La chaîne des événements a sauté, et voici qu’elle reprend du mouvement sans aucune apparence de discontinuité. »
Pour s’aventurer dans un genre aussi ancien, Sophie Tessier s’avance avec la puissance d’un imaginaire aiguisé au contact de fines lames, notamment Julien Gracq, à qui Sophie Tessier rendit plusieurs visites.
Les personnages de ce premier roman ont une dimension magique : Antelme, qui lit le stoïcien Marc Aurèle dans le texte, d’où ces jolies citations qui émaillent le récit.
Gaspard, un jeune adolescent un peu étrange, et l’étrange Chantôme, marin à la cape qui porte le deuil de Maria, et subsiste dans une vie réduite à l’essentiel…
Passionnée par l’univers nordique, Sophie Tessier investit avec talent l’imaginaire celtique, où l’autre monde est toujours affleurant, juste derrière le miroir.
Cet univers s’édifie à l’intuition, dans le miroitement boréal des épiphanies, et exige du lecteur, qu’il accepte de se perdre. De fait, on se laisse étourdir par un style hypnotique qui parle à l’oreille et au corps, avant de s’adresser à l’intelligence :
« Les meubles s’étaient durcis à vive arête et l’ombre, rivetée dans les angles morts, comme prostrée, semblait fourmiller de reproches. »
Pour ne plus les encourir, il suffit de lire ce livre, qui vous avale autant qu’on l’avale.
Daniel Morvan / Ouest-France 15/04/2017