Un mot les réunit dans un livre conçu en commun : « Équilibre ». Deux poétesses grecques (Katina Vlachou, Cypris Kophidès) et un poète grec (Vassilis Pandis), tous trois liés à l’île de Corfou, confrontent leur regard sur ce mot inspirant. Mais on découvre que ce mot « équilibre » recouvre des réalités bien différentes selon les auteurs. Malgré tout, « un paysage poétique original », comme le dit Yves Bescond dans la préface, se dégage de cette confrontation.
Pour Katina Vlachou le premier équilibre à trouver dans ce monde est sans doute celui de la langue. Ainsi évoque-t-elle cette langue grecque qui lui fut à la fois « étrangère » et « familière » depuis l’enfance (elle traduit ici ses poèmes du français vers le grec). Et comment ne pas penser, la lisant, à tous ces Bretons exilés de leur langue quand celle-ci fut, autrefois, exclue de l’école. « Maintenant je peux revenir/à ma langue maternelle/en toute confiance/pour composer/un équilibre secret », confie Katina Vlachou.
L’autre équilibre auquel elle s’attache est celui de l’enfance. La poétesse raconte comment a été battue en brèche « le tendre équilibre/de notre innocence enfantine ». Pour illustrer son propos, elle évoque l’équilibre précaire des châteaux de cartes que bâtissaient les enfants. C’est cet esprit d’enfance qu’il faut retrouver, estime-t-elle, garant de notre équilibre car « nous détenons encore dans l’âme/profondément cachés/les châteaux imprenables de nos rêves d’enfants ».
Katina Vlachou nous dit aussi que la poésie a bien des choses à nous apprendre dans l’art qu’elle a de maintenir une respiration entre les mots. « Silence et verbe/gardent le temps de l’équilibre/dans l’humble jardin de la poésie ». Mais peut-être suffit-il, pour commencer, de retenir les leçons de la nature dans le domaine de l’équilibre. Savoir, par exemple, s’inspirer de la libellule, du papillon ou de l’araignée dans leur exercice d’équilibriste. « Car « un équilibre figé m’insupporte/je bouge », ajoute Katina Vlachou. À sa manière, Cypris Kophidès l’affirme elle aussi. « La vie, c’est comme une bicyclette/il faut avancer/pour ne pas perdre l’équilibre » afin de mieux d’élancer « dans le souffle du jour naissant ».
Comment traverser le temps et garder son équilibre ? Comment, dans la confusion du monde, survivre « à l’injustice/à la trahison/au mensonge/à la cruauté ? Comment survivre quand on est « froissée d’angoisse » ? Ce sont les grandes interrogations de Cypris Kophidès. « Équilibre est quête/instant de suspension », affirme-t-elle. Rien n’est jamais gagné : le chagrin a beau être « enfoui » ou « bâillonné », on peut dire de telle personne qu’elle « tient l’équilibre ». En poète, Cypris Kophidès propose de « s’appuyer sur un arbre une étoile/même sur un rire/et certainement sur l’équinoxe/au printemps et à l’automne/cela s’appelle tenir ».
Vassilis Pandis, pour sa part, répond plutôt à mots couverts à toutes ces questions « existentielles ». Il n’emploie jamais le mot « équilibre » dans ses courts poèmes, préférant aborder le sujet par le truchement de sensations vécues. « À partir d’une seule odeur/je peux me tenir dans le monde », écrit-il. Poursuivant son exercice de contemplation il dit du « chêne des garrigues » qu’il « grandit dans sa gloire profonde ». Mais son propos un peu énigmatique (voire hermétique), dans la veine du surréalisme, cultiver une forme de mystère pour maintenir l’équilibre.
Pierre TANGUY