Un roman sensible et saisissant

« Elle doit avoir cinq ans et c’est la première fois qu’elle se retrouve seule chez elle avec cet homme ».

 

Patrick Martinez nous raconte l’histoire de Rose, une jeune femme victime d’un viol et dont l’enfance est dévastée.

Un livre remarquable de par la place du lecteur : Il va connaître les moindres gestes et sensations de Rose, son sentiment d’épouvante face à l’homme prédateur, face à sa mère haineuse, son sentiment d’étrangeté devant le monde qui l’entoure et qu’elle examine minutieusement, en posture d’observatrice. Des cinq sens, la vue en premier fait repère. Le toucher agresse ou conforte.

Le récit avance avec une fausse tranquillité, un calme déniant la douleur. Dès les premières pages, l’empathie de l’auteur pour son personnage saisit le lecteur.

 

Un livre précis, fouillé, clinique, un roman qui permet de percevoir au plus près la difficulté d’un ressaisissement : Les silences de Rose ouvrent à une compréhension intime de son vécu et pose la question du : comment vivre après ?

La dévastation a été si profonde, la douleur si bâillonnée, que la parole ne peut franchir la frontière des lèvres. La seule façon pour Rose de demeurer vivante, c’est le recul, la retenue.

Recul du corps, raidissement, sanglot étouffé. Silences. Puis, plus tard, elle trouvera le chemin des mots, écrits.

Mais à qui les adresser ?

 

En quelques cent-dix pages, avec simplicité et sobriété, en utilisant la distance de la troisième personne, Patrick Martinez peint le tableau d’une « absence à soi-même », et éclaire l’engrenage qui de la violence subie conduit à la défaillance psychique, éclaire la fabrique de la folie. Le récit est construit sur une suite d’allers-retours du foyer de l’enfance à la masure et à l’appartement.

Des allers-retours dans lesquels s’intercalent les rendez-vous avec un médecin, un psychiatre, une juge, et quelques rencontres « de passage ».

L’institution est présente, et ses représentants, même lorsqu’ils montrent une volonté de bienveillance, échouent à l’arracher à la blessure première.

L’auteur questionne la société, nous questionne, par la simple force de son histoire et peut-être plus directement qu’avec un discours théorique.

 

Rose avance et recule, déambulant entre passé et présent. Ce n’est pas que passé et présent s’emmêlent, c’est que le présent est excroissance du passé sans contenir de promesse de futur. De rebondissement en rebondissement ses perceptions malmenées l’entrainent dans une interprétation hallucinatoire des situations. Et quand l’auteur laisse à son héroïne la possibilité d’un instant de plénitude sous un flot d’émotions trop longtemps contenu, la poésie n’est pas loin et vient nous troubler…

 

Patrick Martinez a été pendant presque vingt ans psychanalyste auprès d’enfants ayant subi de graves maltraitances, et sa connaissance, son expérience, ne sont sans doute pas étrangères à la force de ce premier roman.

 

Sensible et saisissant.

 

Cypris Kophidès