Une merveille d’écriture et de profondeur

Pourquoi ce titre donné par Gérard Bessière à son dernier livre ?

 

S’agit-il des paroles testamentaires d’un vieux prêtre de 91 ans qui sent s’approcher le terme de son existence ?

Ou bien y entendons-nous les paroles ultimes d’un chrétien dont la foi a été, au cours de sa longue vie, laminée par les découvertes scientifiques de tous ordres, y compris celles qui concernent l’interprétation des textes bibliques et évangéliques ?

 

Peut-être l’horizon de la mort rend-il urgent à notre auteur de témoigner une fois de plus (la dernière fois ?) de ce qu’il l’habite au plus intime : ses interrogations, ses doutes, mais aussi sa paix sereine et sa communion avec tant d’humains rencontrés sur son chemin !

 

Son petit livre de 82 pages, comme les précédents, est une merveille d’écriture et de profondeur.

 

L’écriture est légère, dense et grave cependant, souriante et poétique par endroits, toujours intense, pour exprimer sa condition d’homme et de chrétien moderne : son ignorance, sa solitude, ses souffrances mais aussi sa grandeur et sa quête irrépressible de ce qui l’élève intérieurement.

 

Gérard Bessière parle d’expérience.

Et c’est là tout l’intérêt de son témoignage.

 

Ignorance :

« Nous avançons en repoussant l’ignorance mais pour la rencontrer à nouveau. Nous voici nomades à l’infini… On a envie d’interroger : où est Dieu, qu’est-ce que Dieu ? Les réponses du passé abondent. Elles s’évaporent comme les brumes aux matins de l’humanité… Aujourd’hui, j’hésite à dire que “Dieu” m’a parlé. J’accepte mon ignorance devant le mot Dieu. Je ressens de plus en plus que nos mots, nos pensées ne sont que balbutiements devant le Mystère… Que d’inflation dans le langage religieux ! La parole officielle des représentants de l’Église, y compris dans ses actes solennels, textes des conciles et des papes, des évêques et des prêtres, n’est-elle pas souvent imprégnée d’inflation pieuse ? »

 

Solitude :

« Je suis en train de partir à l’intérieur de moi-même… Je constate que je suis aujourd’hui “à l’extérieur” de l’institution… Si [cependant] l’on appelle Église ce ferment actif sous toutes ses formes, je désire toujours être “à l’intérieur” avec toutes celles et ceux qui suivent Jésus… L’“Inclassable Jésus” habite le cœur et l’esprit de beaucoup de femmes et d’hommes, qui vont à l’église, ou qui n’y vont pas… Après lui, nous [sommes rentrés] dans l’ère des traditions, de leurs interprétations, variables selon les temps, les dates, les contextes, les auteurs et leurs cultures… Que dire des dogmes définis dans les conciles depuis le IVe siècle ? Les définitions conciliaires allaient être considérées comme des vérités intemporelles, définitives, à répéter littéralement, alors qu’elles étaient relatives au contexte politique et culturel. »

 

Surmonter le vertige :

« Face à l’énigme de la condition humaine, comment échapper au vertige et faire grandir sur notre planète le respect, la solidarité, l’humanité » interroge Gérard Bessière. Sa réponse est un appel à nous mobiliser de tout notre être : « Dans ces horizons déchirés, reste à vivre notre aujourd’hui, l’aujourd’hui de notre humanité en mutation rapide, avec notre conscience, nos capacités, nos mains, notre esprit et notre cœur... » Parmi nos investissements, cultiver l’émerveillement face à la nature, devant le meilleur de notre propre existence et de celles des autres humains. Cultiver incessamment la fraternité et l’écoute – et Dieu sait que Gérard s’y est exercé – au sein de nos familles de sang et de cœur et au fil de nos rencontres. Cultiver encore l’étude et notamment « la connaissance de l’Histoire » pour aiguiser notre lucidité : « Elle nous révélerait [à nous chrétiens] que nous habitons le temps qui passe et qui nous appelle à créer l’avenir, sans nous entraver dans des permanences qui n’étaient que l’expression d’une époque. »

 

Jacques Musset

 

https://baptises.fr/livre/au-seuil-du-silence-gerard-bessiere

 

n°97 (mars-avril 2020) de la revue “Les Réseaux des Parvis”