Une prose forte et sensible au service d’un récit sans angélisme

Les éditions Diabase oublient un « paquet » de trois livres. Un roman de Anne Pollier un roman de Hervé Jaouen. Et un recueil de correspondance entre ces deux auteurs.

 

Une belle histoire d’amitié entre deux écrivains. Ils se sont rencontrés en 1986 dans un restaurant de Pont-L’abbé, Anne Pollier est alors âgée de 76 ans. Elle est originaire de Groix et a écrit cinq romans chez GallimardHervé Jaouen, 40 ans, à l’époque employé de banque à Quimper, est déjà un auteur reconnu de romans noirs. Une relation épistolaire se noue jusqu’à la mort d’Anne Pollier, sept ans plus tard. Entre-temps, on échange des opinions sur les livres des autres, ou sur les siens, on parle du temps qu’il fait et de celui qui passe, des maux dont on souffre et des petites misères qu’inflige le monde de l’édition. C’est poli, et charmant. Plein de vie et de légères colères.

 

C’est surtout une plongée dans l’arrière-boutique de l’écrivain, dans ce laboratoire de l’écriture où se mêlent inspiration et travail. Anne évoque Grand Quai, ce premier roman paru en 1952 qui doit beaucoup à ses souvenirs d’enfance. Un récit que Hervé voudrait adapter au cinéma.

 

Le Quimpérois a raison d’être ébloui, car Grand Quai que l’on peut redécouvrir aujourd’hui est un grand livre.

Anne Pollier dans cette histoire de gamine qui s’apprête à vivre sa première communion révèle un talent peu commun aussi bien dans les dialogues que dans les portraits de personnages multiples et bizarres.

Une prose forte et sensible au service d’un récit sans angélisme, car habité par les ténèbres de la violence.

On comprend la fascination d’Hervé Jaouen pour ce livre cru et noir.

 

Des caractéristiques que l’on retrouve dans Fleur d’Achélème ; le roman par lettres (comme par hasard) que publie Hervé Jaouen. Trame simple et efficace : deux amis de lycée, Bernard et Lucienne, se perdent de vue au début des années soixante. En 1966, Lucienne écrit à Bernard pour son vingtième anniversaire.

Elle le fera chaque année pendant plus de 25 ans.

Des lettres déjantées où la belle balance à l’ex-lycéen des grivoiseries auxquelles Bernard ne daigne que rarement répondre.

Leur itinéraire de vie est tellement divergent : Lucienne tombe dans l’alcoolisme et devient une semi-clocharde.

Tandis que Bernard, d’abord journaliste à Ouest-France, suit à Paris une carrière fulgurante d’homme politique et d’écrivain.

Fossé social impeccablement mis en scène, art de la cruauté, mais aussi formidable émotion enserrée dans ces 150 pages d’un Jaouen au meilleur de sa forme.

 

Georges Guitton / Ouest-France 22 mars 2007