BLEUET 17

Michel LAMART
paru le 09/09/1999

130 × 200 mm, 224 pages
978-2-911438-06-X

15,00 €

Ce roman, populaire au sens premier du terme dans le choix des personnages, a la. simplicité des histoires qui ne jouent que sur l’essentiel : le courage et la solidarité face à la violence et à la mort. L’un des effets en est pour le lecteur une sensa­tion de proximité : écrit à l’imparfait, il l’entend au présent.

 

Jacques Amé, un adolescent confronté à la «grande nuit de la guerre » ne veut rien tant que « trancher le fil qui LE rattach(e) encore à l’enfance ».Mais comment se construit-on quand la destruction est à l’oeuvre ? De jour, de nuit, sa ville – Reims – est violentée : dévastation et désolation. On le suit par la rue Lesage, la Place de la République, le boulevard Roederer, le jardin de la Patte d’Oie jusqu’au canal. On le suit devant la « silhouette méconnaissable de la cathédrale » avec « son profil de navire démâté » jusqu’aux « faubourgs ravagés ».

 

Par des notations réalistes et minutieuses, Michel Lamart transcrit une cartographie du corps meurtri de la ville avec sa vibration faite de silence et de fracas, d’aplat blanc et de cratè­res noirs, de boue et de fumée, mais aussi la figure de ces Rémois « déterminés à ne jamais renoncer et à conserver la tête haute ».

 

Il dessine un beau portrait de femme avec Elise, la mère de Jacques, douce et résolue, qui refuse « l’allocation d’un franc cinquante par jour en tant que femme de mobilisé » parce que justement elle ne veut en aucune manière « vivre de la mobilisation de Vincent » son mari. Et derrière, brossée à grands traits, se dresse la figure de sa grand-mère, celle qui en juin 1848 « avait tenu le fusil sur les barricades de la rue de Rivoli ».

 

Avec ce « mélange d’authenticité et de naïveté » en héritage, Jacques ressent la même urgence à « agir selon son coeur » et part à la recherche de son père, combattant sur le Chemin des Dames, pendant l’offensive Nivelle. Il y croisera la bêtise, l’hypocrisie, la veulerie, l’embusqué ordinaire, l’héroïque anonyme et peu à peu naîtra douloureusement à sa « nouvelle identité d’homme ». Sa rencontre la plus déterminante, la plus chargée de tendresse, sera sans doute P’tit Mau, ce «galopin goguenard et frimeur », ce gosse qui rampe entre les trous d’obus et dont la langue imagée est à elle seule un défi à la tristesse et à la mort.

 

« Y’a longtemps que t’aurais crevé d’organe si tu cachais dans mon palace. C’est plus souvent qu’à ton tour qu’tu ferais la polka des gencives ».

 

Sous la simplicité de surface, une trame plus subtile apparaît, avec égrenées ça et là, des notations psychologiques rapides et justes. Michel Lamart réussit à donner à voir l’absurdité de la guerre, son horreur radicale, sans discours vengeurs ni jugements définitifs. Ses personnages avancent en mainte­nant autour d’eux, chacun à sa manière, un orbe fait de vigilance, de détermination et de générosité, qui donne la tonalité du livre. Qu’ils soient vivants à la fin de la guerre ou qu’ils aient été abattus, demeure un esprit de résistance, comme une substance fine, impalpable, qui assure leur verticalité jusqu’au bout. Dans une lettre envoyée à sa femme et à son fils, Vincent, blessé, écrit d’un hôpital :

 

«Quoi qu’il en soit, je n’ai pas perdu l’espoir que j’ai toujours investi dans les hommes. Ils peuvent être bons s’ils se reconnaissent. Ils peuvent être vrais si on les accepte tels qu’ils sont. »

 

Alliant la narration directe, les fragments de journal, la relation épistolaire, Michel Lamart a construit d’une prose limpide et expressive, une histoire bien charpentée et des personnages si attachants qu’on n’a pas envie de les quitter.

 

A travers l’itinéraire de Jacques, il rend un nécessaire hommage à ceux qui, offrant leurs vingt ans aux « champs d’horreur », ont fait naître le vingtième siècle.

 

 

Cypris Kophidès

LAMART Michel