FLEUR D’ACHÉLÈME

Hervé JAOUEN
paru le 01/02/2007

130 × 200 mm, 160 pages
978-2-911438-47-9

16,00 €

Bernard, Lucienne et Marie-Claude, lycéens d’origine modeste, se rencontrent en classe de seconde et forment un trio de copains. Trois ans plus tard, Bernard choisit et épouse Marie-Claude, Lucienne part en Normandie. Nous sommes en 1966.

 

Datée du 25 octobre, jour de son anniversaire, Bernard reçoit une lettre de Lucienne. Et l’année suivante et encore après, celle « qui ne l’oublie pas » lui envoie ainsi, en octobre, de ses nouvelles… jusqu’en 1993.

Bernard n’y répond pas.

 

Elle ne change pas Lucienne. Si à seize ans elle lui avait fait du « rentre-dedans » lors d’un slow, à vingt ans, c’est avec les mots qu’elle continue : Bon Anniversaire, Bernard ! À nos vingt ans ! Je retourne à mes lectures… Sous le crucifié cloué au mur de ma chambre avec son rameau de buis bénit planté dans le dos, j’ouvre Justine et je pense à toi bien fort, une main sur le livre et l’autre sous la couverture, sur ma vertu préservée par infortune.

 

De la lourde plaisanterie potache à un don certain pour les jeux de mots salaces, Lucienne développe toute une panoplie de sous-entendus égrillards. D’une lettre à l’autre elle déverse un excès – verbal – de jouissance pour mieux provoquer Bernard en clamant l’exceptionnelle moiteur de son ventre. S’éprenant du « Marin » qui « ne pense qu’à monter à bord, (à s’embarquer) pour les quarantièmes rugissants ! Les trente-six positions à la puissance grand P, comme Panard, elle ajoute Ou encore P comme tu ne sais pas ce que tu as Perdu ! »

 

Ainsi va la vie de Lucienne qui quitte son travail, épouse puis divorce du « Marin », au détour avoue : Je m’étais laissée aller à abuser de la dive bouteille, puis rencontre « L’homme de sa vie », professeur d’éducation civique, (son) gymnaste kamasouTRIQUE, mais deux années plus tard, elle annonce avoir « largué (son) sexgymnaste »…

 

Fleur d’Achélème – son leitmotiv identitaire revendiqué jusqu’au bout – qui porte à bout de rires et d’auto dérision – Mais enfin, que demande une fille du peuple ? De l’amour, toujours de l’amour ! – son mirage d’une vie meilleure.

 

Travail et amour sous le signe de l’éphémère, Lucienne dérive. « … Bien sûr qu’elle déprime ! Encore un peu et ce sera une vraie maniaco-dépressive. Elle va foutre sa vie en l’air, aussi sûr que son père sifflait verre de rouge sur verre de rouge » prédit Marie-Claude qui très vite ne veut plus rien en savoir. Assistante sociale, elle déclare : « les filles comme elles, issues de ce genre de familles, il n’y en a pas deux sur dix qui s’en sortent. (…). Mon boulot c’est d’essayer de les tirer de là, mais pas de m’occuper d’une ancienne copine qui balance des lettres abjectes à mon mari ».

 

Bernard, d’abord jeune stagiaire à Ouest-France, devient journaliste, page économique et sociale, puis a l’opportunité d’« un poste très bien payé » au Matin de Paris, fait un court séjour à Libé, « en attendant la place de choix promise au Monde », place qu’il obtient. Le rêve d’écrire devient réalité et son premier roman publié s’intitule « Fleurs d’Achélème »… Pendant ces trois décennies, ils montent tous les échelons d’une réussite sociale, conjugale – ils s’aimaient comme au premier jour -, et leurs enfants poursuivent l’ascension.

 

Lucienne, elle, d’errance en divagation, s’effondre : « j’ai été très mal, ces cinq dernières années. Vraiment très mal. » Elle continue d’écrire, ne se désarme jamais de sa confiance. Et Bernard continue de lire les lettres, se les commente, les classe, ouvre un dossier à son nom. Il aurait aimé s’émouvoir des malheurs de Lucienne, il regrettait d’en être incapable, et c’était cela qui lui déplaisait, parce qu’il se sentait pris en flagrant délit de bonheur.

 

Lettres d’une folle amoureuse ou d’une amoureuse folle, Hervé Jaouen laisse le lecteur trancher. L’auteur a réussi là une histoire d’un noir singulier. Pas d’assassinat, ni de perfidie, pas même d’empoignade. Aucune goutte de sang. Mais au fil des ans, de façon feutrée, le malaise est palpable, l’humour s’enténèbre, le sourire devient grinçant, accompagnant une participation « en creux » à une chute doucement inexorable que rien n’arrête.

 

Lorsque Lucienne déclare « l’atavisme, Bernard, la malédiction des achélèmes ! », il en est bien d’accord. Lui promis au « grand destin », elle à la chute. Mais au milieu de ce brouhaha de plaisanteries salaces et de projets gagnants s’ouvre et se creuse insidieusement dans le texte un vide.

 

La fatalité s’inscrit-elle uniquement dans les « racines pourries » d’une famille comme Lucienne les nomme ? Qu’en est-il du silence en réponse à cette jetée de mots envoyés d’année en année ? De cette parole restée sans écho ?

 

Pourtant, silence enkysté dans leur réussite, Lucienne arrivera à entrer dans leur vie et à y demeurer jusqu’à leurs morts, comme l’ombre attachée à leurs pas.

 

Cypris Kophidès

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