D’UNE RIVE À L’AUTRE

Charles JULIET
paru le 15/05/2006

120 × 190 mm, 160 pages
978-2-911438-41-8

14,00 €

Quand j’ai commencé à écrire, j’étais dans un profond mal-être. Un mal-être fait de confusion, d’angoisse, de haine de soi, et surtout, d’une immense ignorance. Toutefois, un besoin était là qui m’imposait de travailler à me connaître, et aussi à tirer de mon sous-sol celui que j’étais mais qui m’était inconnu. Longtemps j’ai cheminé dans la nuit. Le découragement n’a pas cessé de m’accompagner, tant il semblait que cette aventure ne menait à rien, sinon à la mort. Pourtant, insensiblement, une clarté est apparue et la lumière a fini par chasser les ténèbres. Contre toute attente, une mutation s’est produite, a engendré un être nouveau qui adhérait pleinement à la vie. Je sais gré à Cypris Kophidès de m’avoir invité à parcourir à nouveau ce chemin. À mieux cerner en quoi il consiste. À montrer après bien d’autres que plus éprouvant est le temps du labour, et plus riche est la moisson.

C. J.

 

En mai 2005, au festival étonnants voyageurs de Saint-Malo, je suis à côté de Charles Juliet. Nous échangeons quelques mots, cordialité de voisinage. Puis quelque chose surgit, insiste, se déploie sur la navigation intérieure, les périls de la traversée, la possibilité d’un apaisement et d’un nouveau regard au cours d’une vie. Ce qui barre, empêche, noie. Ce qui porte, soulève, transporte. Naît le désir de poursuivre, puis le désir d’un livre.

 

Pendant son élaboration, en écoutant Charles Juliet, deux phrases de Jung s’obstinent en « exergue mental » : « Dans la mesure où je parvenais à traduire en images les émotions qui m’agitaient c’est-à-dire à trouver les images qui se cachaient dans les émotions, la paix intérieure s’installait. » et « Or il ne faut pas oublier que l’inconscient ne fonctionne de façon satisfaisante que lorsque la conscience remplit sa tache jusqu’aux limites du possible. », et de façon pressante cette pensée de l’évangile de Saint Thomas : « Si vous faites advenir ce qui est à l’intérieur de vous, ce que vous ferez advenir vous sauvera. Si vous ne faites pas advenir ce qui est à l’intérieur de vous, ce que vous ne ferez pas advenir vous détruira ».

 

Un placement à deux mois dans une famille d’accueil, une enfance paysanne, huit ans aux enfants de troupe, trois ans à l’École de santé militaire de Lyon, puis l’abandon de ses études de médecine pour se consacrer à l’écriture : Charles Juliet accepte au gré du dialogue de refaire le voyage et d’éclairer la singularité de son cheminement où écriture et aventure intérieure ne font qu’un.

 

L’incertitude totale sur ses possibilités d’écriture, le doute, l’ennui, le regard désapprobateur et l’extrême solitude de qui n’est pas accroché au rythme collectif du travail, il les a connus. Il s’est interrogé et s’interroge encore sur la souffrance – y a-t-il d’ailleurs une autre question ? -, est-ce possible de ne pas céder sous sa violence, peut-on la convertir ?

 

De ces années douloureuses, il observe pudiquement « je cheminais à l’intérieur de ma nuit ». Il s’attache aux lectures et aux rencontres qui ont peu à peu structuré sa vie et son écriture, et se remémore les phrases, lues ou entendues, toujours vivantes en lui, énigmes à méditer ou éblouissements comblant le cœur, qui furent comme autant de balises dans les ténèbres. Par l’écoute de « l’autre en lui », par l’écriture à la fois instrument d’investigation au service de la quête identitaire et exercice spirituel, au mi-lieu de la peur, mais aussi des fulgurances, s’est construit insensiblement un chemin, chemin de délivrance vers toujours plus de simplicité. Il insiste sur le vécu dans le corps, par le corps : « l’obscurité… la lumière, ces mots, dit-il, n’ont pas pour moi une valeur métaphorique ». Dans un récit autobiographique, Lambeaux, la nuit s’efface devant les deux portraits de mère, d’où rayonnent une lumière subtile, intense et douce. Vient cette image toute de tendre délicatesse : « Elles dorment l’une près de l’autre dans ma mémoire ».

 

Sa voix est ferme et sensible, d’une tonalité sourde comme enveloppée d’un halo de silence. Son élocution sans hâte, respectueuse du mot à venir, s’accélère subitement, vibrante de passion. Peut-être faudrait-il annoter au début de ce texte, andante à lire cantabile. Les points de suspension sont des pauses de silence, parfois un sourire ou un rire, le point une respiration, la virgule, un souffle. Sans doute y ajouter aussi une autre indication : le regard. Essentiel. Vigilance inquiète, fixité attentive, joie lumineuse traversent tour à tour un regard intense, scrutateur, regard tourné vers l’intérieur, travaillant à capter l’inconnu, traquer les ombres et regard ouvert à la rencontre, accueillant l’autre.

 

Il évoque cette lutte exigeante qu’il a dû mener pendant des années et confie soudainement « les plus hauts états de l’être on les vit dans la passivité »… Dans le sillage des paradoxes comme des interrogations qui mènent jusqu’à l’autre rive, il apparaît comme l’un de ces nobles voyageurs qu’évoque Milosz dont « le rien est le mot de reconnaissance ».

 

Pour Charles Juliet, la frontière est poreuse entre l’expérience de l’être et l’expression des mots. Travailler à être soi et écrire est une même aventure, jamais terminée. Une aventure du dedans toujours en résonance au mystère de l’autre pour ce géographe de l’intime qui aime à partager son « goût de l’humain ».

 

Cypris Kophidès

JULIET Charles
17/10/19

C’est aussi la peur de disparaître qui fait devenir créateur

La simplicité est mise en exergue puis répétée tout au fil de l’entretien avec l’éditeur Cypris Kophidès dont les questions […]